Photo : Riad A peine le jeûne rompu, les mordus du loto de la commune de Assi Youcef, à une quarantaine de kilométre au sud de Tizi Ouzou, prennent le chemin des «casinos», selon l'appellation consacrée pour désigner ces lieux provisoires de jeux de hasard qu'on ouvre à chaque Ramadhan. En fait, dans cette commune rurale comme un peu partout dans de nombreux villages kabyles, ces «casinos» sont domiciliés, l'espace d'un mois, dans des constructions vacantes, généralement des garages, situées à l'écart des habitations. Dès vingt heures, et malgré la canicule, «l'école» -un autre sobriquet dont on affuble l'endroit où l'on joue par contraste avec la vraie école d'où certains ont été éjectés précocement- est déjà pleine comme un œuf : les parieurs, nommés également «joueurs», y ont pris place, qui sur des madriers, qui sur des parpaings ou des caisses. Les cartons de jeu posés tels des pupitres sur les genoux, les parieurs ne quittent pas des yeux les cases numérotées qu'ils cochent d'une pierre à chaque fois qu'y figure un numéro tiré au hasard d'un sac contenant des billes en laiton estampillées de numéros allant de 0 à 90. Le gagnant de la mise est le premier qui aura réussi à aligner 5 bons numéros sur les 15 que compte chaque carton qui représente une unité de jeu. Une autre variante, nommée «carton plein», consiste à noircir la totalité des cases, avec une mise plus conséquente que dans le premier cas. Durant une dizaine de minutes, la mise (pactole) est dotée d'un montant variant en fonction du nombre de parieurs et des sommes de jeu engagées. Quand la séance du tirage au sort du numéro est entamée, le «casino» plonge dans un silence de mort que ne rompt que la voix de l'annonceur criant les numéros tirés. La séance se poursuit dans un suspense à couper le souffle, xjusqu'au moment où un des joueurs lance un cri de délivrance : «Barkats!» (stop) pour signaler qu'il vient de réussir un «5 à la ligne». On procède alors à la vérification du carton supposé gagnant. Le gain est remis au lauréat après la ponction d'une part revenant, sur chaque mise, au gérant du loto, considéré dans l'affaire comme étant le seul gagnant à coup sûr, contrairement aux parieurs qui ne s'y adonnent que dans le but de se divertir et de goûter aux situations de suspense et d'illusion même si l'espoir intense de décrocher le jackpot n'est jamais loin. Pour beaucoup de joueurs, se comptant essentiellement parmi de jeunes désœuvrés, le loto n'est qu'une façon de «taquiner la chance». Il arrive souvent que des parieurs fulminent contre la malchance, surtout ceux à qui il ne manquait qu'un bon numéro pour décrocher la «timbale». Mais il est dit que la passion du jeu est plus forte que la poisse : les perdants se piquent toujours au jeu, à leur propre jeu, car, à chaque fois que quelqu'un se promet de décrocher définitivement, il finit toujours par récidiver et renouer avec dame loterie. Pour une énième fois et jusqu'à une heure tardive de la nuit, le jeu est relancé de plus belle. La liste continue jusqu'au moment où quelqu'un obtient la combinaison gagnante. La même rengaine reprend la nuit d'après, toujours avec plus de passion, dans l'espoir de prendre, cette fois, une revanche sur le sort. Sait-on jamais, le bonheur présumé du jeu est toujours là mais les jeux ne sont peut-être pas toujours faits.