Six ans de bras de fer à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur les subventions à l'industrie aéronautique, et une question : quelle incidence le verdict peut-il avoir sur l'emploi chez Airbus et dans toute la filière aéronautique européenne ? Les premières conclusions de l'OMC, produites le 30 juin 2010, sont défavorables à l'Europe : certaines subventions européennes peuvent être considérées comme des aides à l'exportation dont aurait notamment profité l'A380, estime le gendarme du commerce international. Les aides britanniques, allemandes et espagnoles sont dans le collimateur alors que le système français a été validé. Mais le dossier n'est pas clos pour autant, loin s'en faut. Alors que l'OMC donne 90 jours à l'Europe pour corriger le tir, Bruxelles a fait appel de ce jugement fin juillet. L'OMC a déjà prévenu que, compte tenu de la complexité des débats, le délai pour traiter l'appel (90 jours) pourrait être allongé. Aussi, un mois plus tard et bien qu'ils aient d'abord considéré le jugement comme une victoire, les Etats-Unis ont également fait appel pour réclamer un durcissement des conclusions sur certains points.Le début du feuilleton commença en 2004, lorsque les Etats-Unis demandèrent l'ouverture de consultations avec les gouvernements de l'Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de l'Espagne et avec la Communauté européenne, au sujet des mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs. En ligne de mire : les subventions à toute la famille des produits Airbus (de l'A300 à l'A380). L'année suivante, un groupe spécial pour analyser le dossier était constitué. Mais en avril 2006, ce groupe déclarait qu'il ne serait pas en mesure d'achever ses travaux dans un délai de six mois en raison de la complexité des questions de fond et de procédure en jeu. Les Etats-Unis estimaient alors que les subventions à Airbus sur une trentaine d'années atteignaient 205 milliards de dollars. Les Européens contre-attaquaient, estimant que, selon la méthodologie employée par les Etats-Unis pour le calcul des subventions, eux-mêmes auraient alors gratifié Boeing de 305 milliards de dollars d'aides illégales. Les conclusions du groupe spécial de l'OMC étaient reportées à 2007. Mais à la fin de cette année-là, un nouveau report d'un an fut jugé nécessaire. Il faudra deux années supplémentaires pour boucler cette première étape… sans présumer de la durée des appels.En réalité, les Etats-Unis n'ont aucun intérêt à trouver rapidement un terrain d'entente avec l'Union européenne, alors que la compétition entre Airbus et Boeing est toujours ouverte pour le contrat des 179 avions ravitailleurs destinés à l'armée américaine. En entretenant la suspicion sur la validité des aides de l'Union européenne à Airbus, filiale d'EADS, on peut penser que Washington tente de légitimer ses atermoiements pour que le marché de ces avions ravitailleurs finisse par tomber dans l'escarcelle de Boeing. Car vis-à-vis de son opinion publique mais aussi de la communauté internationale, il serait beaucoup plus facile de démontrer qu'un tel contrat du Pentagone -et les emplois à la clé- ne saurait profiter à un groupe qui bénéficie d'aides illicites.Airbus emploie aujourd'hui 52 000 salariés. Aux Etats-Unis, la branche des avions commerciaux de Boeing comprenait 56 000 salariés avant la crise. Les effectifs sont donc équivalents, mais la réussite des dernières décennies a plutôt été européenne. On comprend que Washington fasse feu de tout bois pour tenter de discréditer l'unique concurrent de Boeing. Les enjeux sociaux vont plus loin. En Europe, c'est toute la filière aéronautique qui est intéressée par les succès d'Airbus. Rien qu'en France, celle-ci emploie 72 000 personnes. Grâce à l'effet d'entraînement, les sous-traitants d'Airbus se maintiennent au sommet de la technologie… aussi bien dans la motorisation des avions que dans les systèmes électriques, l'avionique ou l'informatique de conception. Au point de devenir eux-mêmes des compétiteurs mondiaux, capables de défier leurs concurrents jusque chez Boeing. Des PMI se placent dans le sillage de ces entreprises. Derrière la bagarre sur les subventions, c'est bien la pérennisation des emplois de toute cette filière -en France et dans les pays partenaires de l'Union européenne- qui est en jeu. Et dans la mesure où cette filière est aussi bien stratégique pour l'économie aux Etats-Unis qu'en Europe, on peut s'attendre à de nouveaux rebondissements dans le conflit à l'OMC. G. B. In slate.fr