Une norme pour que les entreprises soient «socialement responsables». Pas facile de faire passer le message lorsque les entreprises réduisent leurs effectifs ou délocalisent leurs productions ! Utiliser la composante sociale comme variable d'ajustement est peu compatible avec les principes de développement durable. Et pourtant, l'ISO, le réseau international d'organismes de normalisation, vient de franchir un pas important en établissant une norme internationale en matière de «responsabilité sociétale des entreprises», la RSE.L'ISO regroupe les organismes de 157 pays, dont l'Afnor pour la France. Pendant cinq ans, les experts de 99 d'entre eux ont planché sur le contenu d'une norme devant donner «les lignes directrices de la responsabilité sociétale» et destinée aux «organisations publiques comme privées, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, pour fonctionner d'une manière socialement responsable». Après l'adoption du projet au début de l'année et un ultime réglage au Danemark en mai, la norme IS0 26 000 a finalement été adoptée pendant l'été et publiée le 1er novembre dernier, ce qui la rend véritablement opérationnelle. Les résultats de ces travaux doivent pousser les compagnies internationales à revoir leurs modes opératoires et servir de repères là où il n'existe pas de législation sociale contraignante. L'intérêt de la norme est son caractère international. Mais le chemin sera long, même avec la contribution de l'ONU qui utilise la RSE comme un outil pour faire émerger une éthique des affaires qui ne serait pas qu'un épouvantail. L'OCDE, autre contributeur aux travaux, apparaît plus réservée : «L'innovation financière a sacrifié l'éthique des affaires sur l'autel du profit extraordinaire», commentait en début d'année Angel Gurría, secrétaire général de l'organisation, à propos des origines de la crise.En France, où il existe déjà tout un arsenal de règles sociales, une telle norme aura du mal à démontrer toute son efficacité. Toutefois, «même dans ce pays, il reste beaucoup à faire pour introduire la diversité dans les entreprises et faire reculer les discriminations», relève Dominique de La Garanderie, avocate, ancien bâtonnier du barreau de Paris. Elle milite en faveur de la RSE dans la mesure où, déjà en 1948, elle figurait en filigrane dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme. «Le discours change sur le développement durable. Il y a de plus en plus de réflexion sur l'actif humain. On ne découvre pas le sujet, mais on le consacre. Et dans notre réflexion générale d'après-crise, on reprend tout et on consolide», commente-t-elle.L'ancien ministre Philippe Vasseur, qui préside le World Forum Lille - qui se tient dans la capitale du Nord du 24 au 26 novembre, pendant le mois de l'économie sociale et solidaire - est sur la même ligne : «Peut-on être une entreprise responsable en période de crise ? La réponse est clairement oui.» Même si, pour se relancer, l'entreprise doit en passer par un plan social. A ses yeux, il existe une différence entre les pratiques d'un Metaleurop ou d'un Molex, qui veulent ignorer les effets sociaux et humains d'une décision économique, et celles d'un Danone, par exemple, qui négocie avec les syndicats les mesures d'accompagnement à prendre pour amortir ces effets. Les «bonnes pratiques» pour concilier bénéfices économiques et responsabilités sociétales et environnementales se trouvent répertoriées en marge d'un «manifeste de l'entreprise responsable» déjà signé par GDF Suez, Eurotunnel, Auchan, Crédit agricole, Damart, France Télévisions, Ernst&Young, KPMG… A Lille, Gérard Mestrallet, patron de GDF Suez, défendra la cause de la RSE sans pour autant remettre en question l'économie de marché et le moteur du profit. Ce qui en dit long sur l'approche plutôt anglo-saxonne de la RSE, qui se distingue de l'approche plus latine (et française) dans laquelle les intérêts des actionnaires et des salariés sont beaucoup plus antagonistes. L'important est de faire avancer le concept, insiste Philippe Vasseur pour qui la RSE s'inscrit dans le même esprit que l'investissement socialement responsable (ISR), autre composante du développement durable. En matière d'investissement, la crise aura peut-être eu une valeur pédagogique. Confrontés à l'absence d'éthique des investisseurs sur les marchés, les épargnants se sont tournés vers de nouveaux opérateurs, plus attentifs au caractère responsable des stratégies d'entreprises. La norme ISO 26 000 leur servira de repère. Déjà, fin 2009, l'encours des fonds d'investissement socialement responsables atteignait 50,7 milliards d'euros contre 29,9 milliards fin 2008, soit une augmentation de 70% en un an, souligne Novethic, filiale de la Caisse des dépôts. Certes, on est très loin des 1 300 milliards d'euros capitalisés dans l'assurance-vie en France. Mais la progression a été en 2009 dix fois plus importante dans l'ISR que dans l'assurance-vie. Ce qui s'explique notamment, selon Novethic, par «la conversion de produits monétaires en fonds gérés sur des critères ISR».C'est dans cet esprit qu'une association comme Finansol - qui a organisé début novembre une semaine de la finance solidaire avec des partenaires comme le Crédit coopératif, la Caisse des dépôts, la Macif, Natixis… - cherche à donner un sens éthique aux placements financiers. Elle demande aux investisseurs qui la rejoignent d'accepter qu'une partie de leur épargne soit investie au profit d'entreprises ou d'associations dans les secteurs de l'emploi, du logement, de l'environnement et de la solidarité internationale. Finansol a ainsi labellisé 119 produits d'épargne en faveur des microcrédits, du commerce équitable, des filières biologiques, des énergies renouvelables, de l'égalité des chances, de l'insertion par le logement ou des droits de l'Homme. G. B. In slate.fr