Synthèse de Rabah Iguer Le spectre d'une guerre civile plane sur la Côte d'Ivoire qui croyait que la présidentielle allait l'engager sur la voie de la réconciliation, de la stabilité et de la reprise économique. Présentée comme un modèle économique dans les années quatre-vingt, la Côte d'Ivoire n'a pas échappé à ses démons que sont les clivages ethniques et religieux et au puritanisme chauvin. Après une guerre civile qui a divisé le pays entre le Nord et le Sud et a coûté cher en vies humaines et en moyens financiers, la présidentielle est venue pour légitimer le pouvoir et mettre définitivement un terme à la crise profonde. Chacun des deux candidats se considère élu et fondé de pouvoir. Les deux présidents proclamés de Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, sont engagés dans une course contre la montre pour s'assurer le pouvoir ; le second, soutenu par la communauté internationale, cherche à contrôler les finances publiques. Maintenant que chaque camp a son gouvernement, la bataille pour la prise en main de l'administration est vraiment engagée. Alors que nul ne sait combien de temps durera cette lutte acharnée déclenchée après la présidentielle du 28 novembre, les Abidjanais ont retrouvé un quotidien quasi normal avec des marchés de nouveau fréquentés et des embouteillages sur les grands axes. Au pouvoir depuis dix ans, Laurent Gbagbo a formé, mardi dernier, un cabinet au complet d'une trentaine de ministres, alors que son rival a nommé un gouvernement qui reste à compléter. M. Gbagbo a placé des proches à des postes stratégiques, et pas seulement au gouvernement. Ancien ministre de l'Intérieur comptant parmi les hommes forts du camp du président sortant, Désiré Tagro devient secrétaire général d'une présidence d'abord soucieuse de consolider son pouvoir et qui dispose de l'armée. Alassane Ouattara entend, lui aussi, avancer ses pions ; faute de quoi, il sera un président purement nominal. «C'est nous qui avons le pouvoir, il s'agit de le rendre effectif», a résumé son Premier ministre Guillaume Soro, chef de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) qui tient le nord du pays depuis son coup d'Etat manqué de 2002. Ambassadeurs et finances publiques Le camp Ouattara veut au plus vite se donner des moyens d'action. «D'ici la fin de la semaine», M. Soro espère commencer à prendre le contrôle des régies financières : Trésor, douanes ou impôts. Il s'appuie sur son ministre de l'Economie Charles Diby Koffi, qui garde les fonctions qu'il occupait dans le gouvernement Soro en place de 2007 à 2010, sous M. Gbagbo. Mais pour l'heure, les nominations en rafales de M. Ouattara dans la haute fonction publique, mais aussi au comité de gestion du cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial, n'ont pas eu d'effet visible. La télévision publique RTI, dont l'ex-opposant a «changé» sur le papier l'équipe dirigeante, reste un atout majeur pour Laurent Gbagbo. De même, les pressions de la communauté internationale restent pour l'instant sans conséquence. Elles ne cessent pourtant de prendre de l'ampleur, alors que le risque que la situation ne dégénère est pris très au sérieux. Guillaume Soro juge, pour sa part, qu'il y a des «risques réels» d'embrasement. Hier, c'est le président de l'Union africaine, le Malawite Bingu wa Mutharika, qui a à son tour appelé M. Gbagbo à se retirer pour «respecter la volonté du peuple» et éviter un «bain de sang». Mardi dernier, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) l'a aussi fermement exhorté à «rendre le pouvoir sans délai» et a suspendu la Côte d'Ivoire en tant que pays membre de l'organisation. Le président sortant peut toutefois se réjouir des premières lézardes à l'extérieur. Après plusieurs jours de négociations, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est séparé, mardi soir, sans être parvenu à adopter un texte sur la Côte d'Ivoire. La Russie a bloqué une déclaration des quinze pays du Conseil en estimant que celui-ci outrepassait son mandat en déclarant Alassane Ouattara vainqueur, selon des diplomates. M. Ouattara a été donné vainqueur par la Commission électorale indépendante (CEI) avec 54,1% des suffrages, mais le Conseil constitutionnel, acquis à M. Gbagbo, a invalidé ces résultats et l'a proclamé président avec 51,45%.