Synthèse de Hassan Gherab La Russie envisage de sortir de certains des accords négociés dans le cadre de son projet d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a déclaré hier le Premier ministre, Vladimir Poutine, cité par les agences russes. «Nous proposons de poursuivre les négociations dans le cadre du groupe de travail pour l'adhésion à l'OMC, mais d'informer les partenaires sur la nécessité de sortir de certains accords qui actuellement contredisent les intérêts de la Russie», a déclaré le premier vice-Premier ministre russe, Igor Chouvalov, lors d'une réunion gouvernementale. «C'est raisonnable», l'a approuvé M. Poutine, ont rapporté les agences russes. M. Chouvalov a notamment évoqué les taxes à l'exportation sur le bois, certains tarifs douaniers et l'activité de certaines entreprises américaines dont l'Etat américain est actionnaire. La Russie, qui a entamé son processus d'adhésion à l'OMC en 1993, est la seule grande économie mondiale à n'avoir pas encore rejoint l'Organisation mondiale du commerce. Le secrétaire américain au Commerce, Carlos Gutierrez, a laissé entendre dans une interview parue samedi dernier que la crise entre la Russie et la Géorgie remettait en question la participation de la Russie au G8 ainsi que sa candidature à l'OMC. Cette menace à peine voilée a déjà été brandie par le président américain au lendemain des attaques russes contre la Géorgie accusée par la Russie d'être un avant-poste des Etats-Unis et de l'OTAN à laquelle elle devra faire son entrée. Selon M. Poutine, la Russie remplit actuellement toutes les obligations auxquelles elle s'était engagée il y a déjà plusieurs années en vue d'adhérer à l'OMC : «En même temps, notre économie et certaines de ses branches, dont l'agriculture, portent une charge assez lourde», a-t-il déploré. «Cela fait que nous ne voyons et ne ressentons aucun avantage à être membres [de l'OMC, ndlr], à supposer qu'il y en ait, et nous portons un fardeau», a-t-il insisté. «Il faut clarifier tout cela avec nos partenaires», a-t-il poursuivi, en s'adressant à M. Chouvalov, observant que l'actuelle volatilité des cours mondiaux, notamment agricoles, rendait cette question encore plus aiguë. «Nous devons réfléchir de la façon la plus sérieuse à la défense de nos producteurs», a-t-il ajouté. «Cela ne signifie pas que nous devons renoncer à notre aspiration stratégique vers l'OMC, mais il faut clarifier la question», a-t-il conclu, plaidant pour que «la justice élémentaire triomphe». La position russe n'est cependant pas aussi confortable qu'on veuille le faire paraître. La crise géorgienne a en effet pesé sur la Bourse de Moscou déjà pénalisée par la récente baisse des cours des matières premières et la dégradation du sentiment des investisseurs, après les tensions entre le gouvernement Poutine et le géant minier Mechel. Les deux principaux indices de la Bourse de Moscou, le Micex et le RTS, ont plongé le 8 août dernier, quand la Géorgie a lancé son opération militaire contre sa province indépendantiste pro-russe d'Ossétie du Sud. Moscou a rapidement riposté, et si le conflit armé a, depuis, cessé, la crise est encore loin d'être résolue, suscitant toujours des tensions sur les marchés obligataires et des changes. «Le rouble a reculé face au dollar et reste fragile, tandis que les emprunts d'Etat russes pâtissent aussi de la crise avec la Géorgie et leurs primes de risque se sont sensiblement élargies», estime Juan Carlos Rodado, économiste spécialiste de l'Europe émergente chez Natixis. «Ce risque financier et cette volatilité marquée restent présents sur le court terme.» Entre le 8 et le 15 août, les réserves de changes de la Russie ont fondu de 16,4 milliards de dollars à 581,1 milliards, la banque centrale ayant dû céder des devises pour soutenir le rouble. La Bourse moscovite a certes rebondi, l'indice RTS ne perdant plus que 8% depuis la veille du déclenchement du conflit, dans un contexte de recul général des marchés actions internationaux. Mais les investisseurs restent globalement préoccupés par la crise du crédit et le ralentissement économique mondial, et cette montée d'aversion pour le risque a pesé particulièrement sur les marchés émergents. La Bourse de Moscou a toutefois proportionnellement moins réagi à la crise géorgienne qu'à la décrue des cours du brut depuis juillet qui pénalise des géants russes de l'énergie comme Gazprom, pesant à lui seul 30% de l'indice Micex 30. Les investisseurs se sont aussi inquiétés de la mise en garde lancée le 24 juillet dernier par le Premier ministre russe Vladimir Poutine aux géants miniers nationaux comme Mechel, accusés de pratiquer des prix prohibitifs. Des propos qui ont pu rappeler les menaces ayant précédé il y a quelques années le démantèlement du pétrolier Ioukos et ont fait plonger le titre Mechel de près de 30% le 24 juillet. Entre cette date et le 7 août, avant le déclenchement du conflit russo-géorgien, l'indice moscovite RTS avait déjà perdu près de 10%, essentiellement en raison de cette affaire Mechel qui s'est depuis apaisée après les concessions sur les prix acceptées par le groupe. Cette série de facteurs négatifs a abouti à une faible valorisation des marchés actions russes qui pourraient à terme rebondir plus franchement. «A un moment donné, malgré les tensions persistantes liées à la crise internationale du crédit ou à la géopolitique, les investisseurs pourraient être tentés de rentrer sur le marché russe pour tirer partie de son faible niveau de valorisation actuel avec ratio cours/bénéfice (PER) tournant autour de 6-7 alors que les émergents sont à 10-11», estime Nina de Martinis, gérante spécialiste de la Russie et de l'Europe émergente chez Crédit Agricole Asset Management. «Le catalyseur pourrait être la publication de bonnes performances trimestrielles de sociétés russes dans les prochains mois, avec des perspectives de progression des bénéfices parmi les plus solides dans la région et au sein des émergents», ajoute-t-elle. Dans ce contexte, la gérante de CAAM privilégie les secteurs les plus à même de rebondir. «Les valorisations des sociétés russes du secteur de l'énergie restent extrêmement basses, même si les cours des matières premières ont fortement baissé récemment. Ces titres intègrent un baril de brut à 60-80 dollars, bien en dessous des cours actuels et de la moyenne de l'année, proche de 115 dollars le baril. La valorisation des sidérurgistes est également peu élevée, avec un ratio cours/bénéfice (PER) de 4 à 5», observe-t-elle. Plus globalement, l'économie russe peut toujours compter sur des bases saines. «Les fondamentaux de l'économie restent très solides et n'ont rien à voir avec les déséquilibres macroéconomiques enregistrés au moment de la crise de 1998, il y a tout juste dix ans», juge Juan Carlos Rodado. «La Russie dégage d'importants excédents de comptes courants et budgétaires et la manne pétrolière a permis d'accumuler 595 milliards de dollars de réserves de changes fin juillet.» La croissance russe qui était de 8,1% en 2007 devrait décélérer mais rester robuste, notamment grâce à la bonne tenue globale des cours pétroliers depuis le début de l'année. Moscou a même relevé fin juillet sa prévision de croissance pour 2008 de 7,6 à 7,8%. Mais ces performances ne lui donnent pas l'indépendance qui lui permettra de faire cavalier seul, seul contre les grandes puissances économiques du monde, c'est un défi que Moscou aura du mal à relever, dans l'immédiat du moins.