Faisant face à une colère populaire aiguë depuis fin janvier, le président Ali Abdallah Saleh, 68 ans, président du Yémen depuis 32 ans, est de plus en plus acculé. Face à une contestation populaire menaçante pour son pouvoir, il a d'abord promis de quitter le pouvoir en 2013, à la fin de son mandat actuel. Mieux, la succession de son fils, dans l'air depuis quelque temps, est abandonnée. Il propose un référendum, d'ici la fin de l'année, sur une nouvelle constitution qui marquerait l'avènement d'un régime parlementaire. L'opposition rétive à toutes les initiatives venant du pouvoir a aussitôt rejeté l'offre, la jugeant «dépassée». Sur la place de l'université, à Sanaa, la fronde s'est renforcée avec les violences des derniers jours, ayant vu le bilan passer à 31 morts, depuis le début de la grogne. Ali Abdallah Saleh, qui se présentait comme un rempart contre «les extrémistes», a perdu des appuis importants au sein des tribus du nord du pays, et les défections se sont même multipliées au sein de son parti. Les dirigeants de l'opposition appellent à d'importantes manifestations. Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans, n'hésite pas à entrer dans l'arène pour s'exprimer dans un stade à Sanaa, devant des milliers de ses partisans, promettant des réformes, d'ici fin 2011, garantissant la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Le président yéménite a également promis des élections législatives ainsi que la formation d'un nouveau gouvernement, d'ici début 2012. Comme il a ordonné au gouvernement de «répondre aux revendications des jeunes» qui ont établi des campements de protestation à Sanaa, Aden et Taez. Mais la rue gronde pour demander sa déchéance. Toutes les catégories sociales sont mobilisées. Les contestataires dénoncent la répression de l'armée, les soldats tirant à balles réelles et faisant des morts et des blessés. L'opposition regarde avec suspicion la proposition de réformes du président Saleh. Après des décennies de pouvoir autocratique, la confiance est au degré zéro. Pourtant, le gouvernement et l'opposition avaient convenu en 2009 de prolonger de deux années le mandat du Parlement et ce, jusqu'en février 2011. L'assemblée sortante voulait organiser des élections législatives, mais l'opposition reste réfractaire à la tenue d'un tel scrutin sans une réforme préalable de la loi électorale. Dans un pays à la structure sociale aussi complexe, le bras de fer est des plus durs. De plus, le Yémen, peuplé de 24 millions d'habitants et frontalier de l'Arabie saoudite, occupe une position stratégique cruciale, entre la mer rouge et l'océan indien. Ce pays est considéré par les puissances comme un élément clé dans la géopolitique de la région. Saleh le sait très bien qui brandit régulièrement la menace de la sédition entre le nord et le sud, dans une république unifiée depuis seulement 1990. De plus, l'instabilité ne provient pas seulement des velléités sécessionnistes du sud, mais aussi des foyers de rébellion, retranchés dans les montagnes du nord-ouest du pays. Le Yémen, l'un des pays arabes les plus pauvres, fait face aux mêmes revendications sociales. Avec des revenus pétroliers déclinant, le pays, sous perfusion du Fonds monétaire international depuis 2010, est sous pression.Un scénario à la tunisienne ou à l'égyptienne est-il envisageable au Yémen ? Depuis le début de la contestation, Salah s'est dit déterminé à rester au pouvoir jusqu'au terme de son mandat actuel, en 2013. Mais il a vu des alliés proches l'abandonner progressivement. Une dizaine de députés de son propre parti, le Congrès populaire général, ont même jeté l'éponge pour protester contre les violences policières qui ont marqué le début de la contestation, en janvier. Selon Amnesty International, 27 manifestants avaient été tués dans les troubles. D'autres mouvances, comme les séparatistes du sud ou les rebelles chiites de l'extrême nord, se retrouvent dorénavant aux côtés de chefs de tribu pour fustiger le pouvoir du président en place. Pour les spécialistes, la situation a évolué dans un sens inéluctable. «La mobilisation de la rue est en train de créer une nouvelle dynamique dans la politique au Yémen et contraint des acteurs-clés à revoir leurs alliances», explique Ginny Hill, analyste à l'Institut Chatham House. L'un des revirements les plus significatifs a été celui de deux tribus, les Hached et les Baqil, parmi les plus importantes du Yémen, où la structure clanique est cruciale. Le président Saleh «a perdu une part significative de son pouvoir à l'égard des tribus, qui constituent un front majeur de sa confrontation avec les manifestants», explique Ibrahim Sharqieh, du Brookings Doha Center. Mais «il n'a pas tout perdu», ajoute l'analyste, puisqu'«il contrôle encore des institutions très importantes comme l'armée», qui peut aligner près de 70 000 hommes et bénéficie du soutien américain. Christopher Boucek, spécialiste du Yémen à la Carnegie Fondation, a insisté lui aussi sur le rôle majeur de l'armée et des services de sécurité, où la famille du président détient des positions de commandement. Point primordial, selon le même analyste, contrairement aux anciens présidents tunisien et égyptien ou libyen, Saleh semble encore bénéficier de l'appui réel des Etats-Unis. Même si le président yéménite a dénigré, lors d'un récent discours, l'administration américaine, une éventuelle hostilité entre Saleh et Washington semble pour l'heure inenvisageable. Sanaa reçoit plus de 160 millions de dollars d'aide militaire des Etats-Unis. Ces derniers comptent sur le pouvoir actuel au Yémen pour contrôler la partie sud de l'Arabie, dans une région prête à s'embraser à la moindre étincelle. M. B.