Photo : S. Zoheïr Par Amirouche Yazid Après une tentative d'élimination des marchés informels au milieu de l'année 2010, le gouvernement vient de renier ses propres décisions, quelques mois plus tard. Il tend la main pour une légalisation des «opérateurs» du marché informel exerçant sur les trottoirs et autres zones de contre-loi. La mesure cible, bien entendu, la partie visible d'un informel décrié dans les textes, mais préservé sur le terrain. L'offre trouvera-t-elle une écoute de la part de l'informel expansionniste et générateur de bénéfices ? Peu de chances de succès pour une mesure qui succède à d'autres restées sans impact. Les premiers concernés par l'offre de légalisation, à savoir les revendeurs de marchandises, ne sont plus à l'écoute de la décision gouvernementale. «Je n'y crois pas. Et mieux, je n'arrive plus à me voir exercer autrement», annonce Mohamed, vendeur à la sauvette du côté de la place des Martyrs à Alger. Les vendeurs légaux, pour leur part, s'efforcent d'y croire. Sans conviction. «Quel sens donner à des mesures visant la régulation des prix quand les marchés informels représentent le créneau qui prospère le mieux ?» se demande le propriétaire d'un magasin d'habillement à Alger. Il indiquait du doigt le grand nombre de vendeurs informels d'habillement installés autour de son lieu de vente. Son voisin boulanger n'est pas dans une meilleure posture. Il subit les mêmes méfaits. «Comment peut-on expliquer que le pain se vende sur le trottoir en face d'une boulangerie ?» fait-il remarquer. Le désarroi des commerçants ainsi que les appréhensions des consommateurs sont d'autant plus justifiés vu les précédents agencements législatifs de la question. Une opération d'élimination des marchés informels a été ainsi lancée durant l'été de l'année dernière. Avec l'apport de la force publique, plusieurs marchés informels ont été rasés, prenant parfois des allures de guerre entre les vendeurs des lieux et les agents de sécurité. Tout le monde a cru à la fin de ces espaces. Les responsables annonçaient, avec beaucoup d'assurance, que l'opération allait poursuivre son chemin. Ils promettaient même l'extinction de ce phénomène. C'était compter sans la capacité de nuisance d'un créneau qui s'est imposé au-dessus de toutes les lois. Bien avant les émeutes du mois de janvier 2011, les marchés rasés ont refait surface. Une situation qui remet en cause toutes les mesures prises par la tutelle. La promesse est, dès lors, faite de maîtriser le marché aussi bien en matière de prix qu'en termes d'hygiène. Le ministère du Commerce tend chaque année à hausser le ton sans pour autant pouvoir concrétiser sur le terrain la neutralisation d'une hausse vertigineuse des prix qui manifestement étouffe toutes les mesures.Opérant loin de tout contrôle, les commerçants passent aisément à une hausse des prix des fruits et légumes. Surpris par cette flambée injustifiée, les consommateurs se trouvent obligés de subir la loi des vendeurs.L'Exécutif n'avait pas trouvé mieux que d'investir le ministère du Commerce de la mission de contrôler et d'intervenir pour fixer les prix et les marges bénéficiaires pour «toutes les marchandises et les produits industriels et agricoles, les produits importés, y compris les prix de l'huile et du sucre, ainsi qu'un certain nombre de services, afin qu'ils soient plafonnés et à l'abri de la spéculation». Un décret expliquait, dans le même esprit, que des dispositions exceptionnelles pouvaient être prises pour en fixer les prix et les marges bénéficiaires, notamment en cas de hausse importante en raison de tensions sur le marché, ou en cas de crises ou de difficultés chroniques dans l'approvisionnement dans un secteur d'activité, ou dans une région géographique, ou en cas de monopole, lorsqu'une entreprise s'adjuge une activité ou se spécialise dans une marchandise ou un produit donné. Aujourd'hui, il n'est pas faux de croire que le gouvernement a saisi l'incohérence de ces mesures. Raison pour laquelle il demeure à la recherche de solutions. Le ministre du Commerce a ainsi indiqué que la première action consiste «à recenser l'ensemble des régions et espaces concernés par le commerce informel». Avant de passer à «l'intégration des commerçants qui exercent dans l'informel en leur dédiant des espaces appropriés et en les inscrivant au registre du commerce». Des commerçants formels attendent du concret. Agacés par la présence des vendeurs informels à quelques mètres de leurs locaux, ils espèrent un changement de la situation. «C'est absurde comment les choses fonctionnent dans notre pays. Un commerçant qui paye une location, des impôts trouve devant lui un trabendiste qui propose des produits similaires», constate Hamid, un commerçant depuis une trentaine d'années à la rue Khelifa Boukhalfa à Alger. Hamid expose son spleen. «Même quand ils vendent des produits contrefaits et sans le moindre contrôle, ils le font dans la sérénité. Les services d'ordre ne leur disent rien. Ils ont donc fini par se comporter en véritables commerçants. Or, ils n'ont aucun document qui indiquerait la nature de leur activité», dit-il. Avec une benne de décharge placée juste à l'entrée du marché, le consommateur est exposé à tous les dangers. A quelques mètres de cette benne-poubelle, un policier est intervenu auprès d'un livreur de viande sans la moindre mesure d'hygiène mais sans aller au bout de son devoir de protéger le citoyen. Il s'est contenté de dire au vendeur que «sa marchandise devait être saisie». C'est manifestement à partir de là que le consommateur est parfois accusé par les commerçants de complicité. Il lui est reproché le fait d'acheter auprès des informels. Un producteur de boissons gazeuses avait lancé récemment un véritable cri d'alerte. «Si les autorités persistent à laisser le climat actuel dans le flou, les producteurs agréés prédisent un avenir sombre pour la filière», a-t-il avisé. Et d'ajouter que «l'activité cache un véritable maquis qui échappe à tout contrôle. La filière est prisonnière de son environnement direct : informel, contrefaçon et concurrence déloyale». Actuellement, il est loisible de constater des produits d'apparence certifiés proposés dans des marchés informels. Comment cette marchandise parvient-elle dans ces lieux ? La part pratique de la «feuille de route» visant à «organiser le commerce informel» peut apporter quelques réponses sur une mesure tardive pour les uns et surréaliste pour les autres.