Lorsqu'on évoque la Sierra Leone dans les années 1990, il est plus souvent question de ses diamants et de la guerre civile qu'ils alimentent. Cependant, les débats sur ce pays d'Afrique de l'Ouest qui a retrouvé la paix peuvent désormais porter sur tout autre chose, sur son impressionnante production agricole par exemple. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), en 2009, la Sierra Leone a produit 784 000 tonnes de riz, bien plus que les 550 000 tonnes nécessaires pour la consommation nationale et un tiers de plus que la moyenne des cinq années précédentes. Certes, le retour de la paix facilite la production. De même que les pluies, irrégulières mais suffisantes. Le facteur essentiel est cependant l'appui du gouvernement à l'agriculture. En 2008, le gouvernement a porté à 7,7% la part de l'agriculture dans le budget de 2009 alors qu'elle était de 1,6% en 2008. Le budget de 2010 l'a ensuite portée à 10%, propulsant la Sierra Leone parmi les douze pays africains ayant atteint l'objectif continental fixé en 2003 pour les dépenses agricoles. C'était au sommet de Maputo au Mozambique. Ce sommet a également approuvé un plan détaillé pour l'agriculture africaine, connu sous le nom de «Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique» (CAADP). Ce dernier fait partie du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), un programme de l'Union africaine. L'initiative agricole de la Sierra Leone a été directement inspirée par le CAADP. Pour la Sierra Leone et le continent, l'heure est critique. Début février dernier, la FAO indiquait que son indice des prix alimentaires avait augmenté pour le septième mois consécutif. Il avait atteint des niveaux jamais connus depuis son instauration en 1990 et avait dépassé les records établis au plus fort de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008.L'Afrique est particulièrement vulnérable à de telles augmentations de prix, note le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, dans un rapport paru en novembre 2010 sur les «aspects sociaux» du Nepad. La plupart des pays africains ne produisant pas suffisamment pour nourrir leurs populations, le continent dépense environ 33 milliards de dollars chaque année en importations alimentaires, note le rapport. Les pauvres, dont les dépenses alimentaires représentent une part disproportionnée de leur maigre revenu, sont les plus durement frappés. «La situation en matière de sécurité nutritionnelle et alimentaire demeure précaire sur une grande partie du continent africain», souligne le secrétaire général de l'ONU.Mais l'Afrique peut combattre l'insécurité alimentaire. Davantage d'investissements, de meilleures politiques agricoles et des aides aux cultivateurs africains, peuvent mener le continent vers une révolution agricole, déclare Ibrahim Assane Mayaki, administrateur général de l'Agence de planification et de coordination du Nepad. «L'Afrique peut devenir un important producteur, et faire mieux qu'assurer sa seule sécurité alimentaire», soutient-il.Dans presque tous les pays africains, le volume des récoltes est souvent le moteur principal de la croissance économique. Le Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique recommande que le secteur agricole enregistre une hausse moyenne annuelle d'au moins 6%.Pourtant, des décennies durant, l'agriculture africaine a été délibérément négligée. Ces dernières années, les donateurs ont promis d'accroître leur financement. Mais à cause de la crise financière de 2008, cette promesse demeure pour l'instant lettre morte, ou presque. Or, soutient M. Mayaki, «il nous faut accroître le niveau de nos investissements dans l'agriculture en Afrique.» «Pactes» agricoles En 2007, les défenseurs du CAADP ont lancé une campagne visant à encourager les pays africains à adopter les objectifs fixés à Maputo. Depuis lors, selon une enquête de l'Union africaine et du Nepad, huit pays africains (Comores, Ethiopie, Madagascar, Malawi, Mali, Niger, Sénégal et Zimbabwe) ont consacré au moins 10% de leur budget à l'agriculture. Cette année-là, le Rwanda est devenu le premier pays à signer un Pacte CAADP. La campagne s'est intensifiée en 2009, avec 12 signatures. Fin 2010, le nombre de signataires avait atteint 22, six autres devraient s'y ajouter au cours de ce mois. En novembre 2009 la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest a signé le premier pacte régional.Au-delà des enjeux budgétaires, le problème est de savoir si les fonds parviennent aux exploitants sur le terrain. Dans divers pays, l'expérience a montré que les intrants essentiels (engrais, semences à haut rendement, produits phytosanitaires et irrigation) peuvent contribuer de manière décisive à l'augmentation des récoltes. Les subventions gouvernementales rendent ces intrants accessibles aux exploitants pauvres, comme c'est le cas au Malawi. En 2009, le Mozambique a distribué 7 300 bœufs dans le cadre d'un programme visant à étendre l'utilisation de la traction animale, mesure qui devrait permettre aux familles de cultiver au moins cinq hectares chacune, au lieu de la moyenne actuelle d'un hectare. L'Ouganda a connu sa meilleure récolte de maïs. L'excédent a été exporté au Sud-Soudan et dans l'est de la République démocratique du Congo. En Tanzanie, les semences hybrides et les engrais ont permis d'obtenir une récolte de riz excédentaire en 2010. Les riziculteurs sénégalais, qui produisent en général autour de 150 000 tonnes par an, ont réussi à produire 350 000 tonnes, soit environ la moitié de la consommation nationale. En plus des semences et des engrais, un programme d'irrigation agricole bien financé s'est avéré décisif. Il faut veiller en particulier à ce que cette assistance atteigne les exploitantes, soulignent les experts. Si les services agricoles ont pour rôle de fournir des semences de qualité, des engrais à des prix abordables, une assistance à la commercialisation ou un accès facilité au crédit est aussi nécessaire. Ils «doivent apporter l'appui nécessaire aux exploitantes, qui produisent la majeure partie des vivres en Afrique», déclare Namanga Ngongi, président de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique, initiative non gouvernementale de développement rural lancée par l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. E. H. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU