Photo : S. Zoheir Par Amirouche Yazid La marche des étudiants a eu lieu malgré le dispositif de sécurité impressionnant mobilisé par les autorités. Ils étaient environ 100 000 étudiants à marcher de la Grande-Poste vers la Présidence. Une manifestation grandiose, qui s'est terminée, hélas, dans la violence et le désordre avec plusieurs cas de blessés et d'évanouissement. Après donc une série de rassemblements, les étudiants, structurés en Coordination nationale autonome des étudiants (CNAE), ont passé la vitesse supérieure pour faire entendre leur voix. Et pour sauver l'université algérienne du marasme qui la caractérise depuis des années. L'espace d'une journée printanière, les étudiants ont démontré qu'une université du savoir est possible en Algérie. Que l'université n'est pas une question de titres et de diplômes. Elle est plutôt ce lieu du savoir par excellence.Les étudiants ayant investi, dans la matinée d'hier, les rues principales de la capitale sont manifestement le témoin de la vitalité de la jeunesse algérienne. Leur action contrarie l'inertie dans laquelle se sont installées nos institutions. Tout a commencé aux alentours de la Grande-Poste quand les étudiants des quatre coins du pays arrivaient sur les lieux par petits groupes.Afin d'empêcher le déroulement de la marche, les forces de sécurité avaient déjà pris place. Pour empêcher les étudiants de constituer des groupes, les agents de sécurité invitaient - parfois avec arrogance et mépris - les jeunes manifestants à se disperser. C'était une véritable chasse à l'étudiant. Même ceux qui prenaient leur café aux environs de la rue Larbi-Ben-M'hidi ont été interpellés par des policiers, aussi bien en uniforme qu'en tenue civile.Loin de manquer de détermination, les étudiants ne croyaient cependant pas à la possibilité d'une marche au vu du dispositif sécuritaire déployé. Il leur a fallu reculer vers la placette Emir-Abdelkader pour prendre confiance que la partie est largement jouable. Et c'est à partir de cette placette que la manifestation s'est ébranlée, empruntant la rue Larbi-Ben-M'hidi. Composée au départ de quelques milliers de manifestations, la marche a pris de l'ampleur à mesure que les étudiants, séparés par les cordons de sécurité, rejoignent la procession.Brandissant leurs cartes d'étudiant, ils scandaient des slogans dénonçant la gestion du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, M. Rachid Harraoubia : «Harraoubia dégage», ne cessent de clamer des étudiants exaspérés par une grève qui s'éternise et par la hantise d'une année blanche. En face de l'esplanade de la Grande-Poste, c'est le désordre total entre des étudiants décidés à marcher et des agents de sécurité qui veillaient au grain. «Y en a marre de ce système», «Djamiaâ houra démocratia» reprenaient en chœur les manifestants avant de crier : «Marche pacifique» dès que la police use de la matraque. Un premier blessé, parmi les étudiants, a été signalé ; il a été transporté aussitôt vers l'hôpital par un automobiliste de passage.Vers 10h30, les étudiants se sont rendu compte qu'une marche à Alger est possible et que le dispositif de sécurité n'est pas aussi infranchissable. Les premiers face-à-face livrés ont donné des ailes aux étudiants et la marche a pris de l'épaisseur à mesure qu'elle avance. Sur leur itinéraire, les étudiants continuaient à décrier les réglementations régissant l'université. Des balcons des immeubles, des familles entières expriment leur adhésion au mouvement. Des bouteilles d'eau fraîche ont été offertes aux manifestants. Encouragés par de tels gestes de solidarité, les marcheurs se mettent à scander : «Khawa, khawa contre el wizara (soyons solidaires pour faire plier le ministère). Surpris par l'ampleur prise par la marche «millionnaire» des étudiants, les services d'ordre guettaient l'endroit propice pour freiner l'avancée de la marée estudiantine. Un autre cordon de sécurité a été improvisé avant la trémie d'Addis-Abeba. Les manifestants le franchiront après quelques moments d'hésitation. Un autre cordon dressé à proximité de l'hôtel El Djazaïr (Ex-Saint-George) n'a pas résisté devant la détermination des manifestants.Ces derniers sont davantage revigorés. «Nous sommes proches de la Présidence», annonce un étudiant de Tiaret à ses camarades. La brutalité policière les attendait aux abords du Golf, devant le lycée Bouamama (ex-Descartes). Mais, encore une fois, les étudiants résistent et passent l'écueil des matraques avant d'arriver à l'avenue de Pékin, non loin du siège de la présidence de la République où les médecins résidents tenaient, depuis lundi dernier, un rassemblement. Les blouses blanches ont préféré céder les lieux à la marche imposante des étudiants. A 12h45, un délégué de la CNAE prend la parole ; à l'aide d'un mégaphone, il rappellera que «la marche est pacifique». Et d'ajouter : «Cette grande mobilisation est un signe que le secteur de l'enseignement supérieur va mal, à l'instar des autres secteurs. Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les médecins. Ces derniers défendent le caractère public de la santé, comme nous défendons le caractère public de l'université.» Dix minutes plus tard, la situation dérape avec des dépassements de part et d'autre. La tension est montée de plusieurs crans. Une centaine de blessés sont à déplorer notamment dans les rangs des manifestants. Après un répit de plus d'une heure, les services de l'ordre, dont le nombre a été renforcé, sont passés à un autre niveau de répression pour disperser les manifestants obligés de reculer. Reculer pour mieux voir l'avenir…