De notre envoyé spécial à Béjaïa Fodhil Belloul Interroger l'Histoire, c'est, fatalement, suivre à la trace ce qui a été consigné, souvent par les vainqueurs, rarement par les vaincus. C'est aussi, au-delà de lire un rapport ou de consulter une archive, prendre en charge ceux qui en furent exclus. Tache ardue que s'est proposé d'accomplir Mohammed Lakhdar-Tati dans son documentaire Dans le silence, je sens rouler la terre, présenté samedi dernier au Théâtre régional de Béjaïa en ouverture de la 9ème édition des Rencontres cinématographiques de la ville. En choisissant d'évoquer un épisode méconnu de l'Histoire de la présence française en Algérie, l'internement de prés de 12 000 Républicains espagnols dans des camps à Djelfa, Oran et Béni-Saf, le réalisateur a pour le moins fait un pari risqué. Et pour cause, la rareté des traces concernant ce pan de notre Histoire. Comment faire alors ? Par quel moyen ? Une caméra peut-elle faire revivre ce qui n'étant plus, subsiste en empreintes imperceptibles ? Lakhdar-Tati, avec une rare acuité, convoque deux témoins essentiels : la poésie et la mémoire des lieux. La première nous vient de Max Aub, poète interné à Djelfa en 1941 après avoir fui l'Espagne de Franco et qui attestera de l'horreur de l'enfermement dans son livre Diario de Djelfa (Journal de Djelfa). «Dans le silence, je sens que la terre se déplace vers l'avant... Désert, miroir du ciel. Le marabout de plâtre, crâne lisse à demi dissimulé par la colline, face-à-face avec l'authentique demi-lune du ciel. Carte postale de Constantinople…». C'est donc une parole subjective, habitée et souffrante, qui participe à l'interrogation du réalisateur. Poésie magnifiquement traduite en arabe qui ouvre le documentaire. Point de départ d'une investigation que va mener Lakhdar-Tati dans trois villes. Et si nous comprenons vite les difficultés rencontrées, l'indigence des témoignages, ceux officiels du centre des archives de Djelfa, ceux gênés de Hamid Nacer-Khodja, ou encore témoignages en bribes des différents citoyens, nous sommes aussi saisis par la survivance presque fantomatique du passage de ces Espagnols. Et tout le talent du réalisateur réside là. Mohammed Lakhdar-Tati filme des lieux, et la lenteur des plans invite à la méditation. Et Lakhdar-Tati accentue cela en alternant avec des plans de cartes géographiques de l'époque et des coupures de presse. L'Histoire s'éclaircie par deux témoignages, un survivant des camps et un professeur d'université. Mais cela suffit-il à rendre justice aux oubliés de la guerre civile espagnole ? Sûrement pas, et le silence des officiels dénoncé à juste titre par le réalisateur le confirme.