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Ecrire l'Histoire, mais comment ?
Thème d'un débat au Feliv
Publié dans La Tribune le 27 - 06 - 2011


Photo : M. Hacène
Par Fodhil Belloul
Dans les temps les plus reculés, les peuples ont tenté, pour assurer leur survivance et leur cohésion, de produire des récits collectifs, d'exprimer le sentiment d'appartenance à une communauté, ethnique, géographique, ou à une communauté de destin. Récits de mythes fondateurs, épopées, chroniques furent à chaque fois les témoignages collectifs d'une identité. Avec la complexité grandissante des sociétés humaines, le besoin de faire de ces récits une discipline, c'est-à-dire une pratique codifiée et conventionnée, a produit ce que nous appelons l'Histoire. Parallèlement, la notion d'individu a peu à peu remplacé celle de communauté dans la fondation de ces sociétés. Et une autre forme de récit s'est imposée ailleurs, ou à côté, c'est-à-dire en littérature. Ce fut le roman. Les organisateurs du 4e Festival international du livre pour enfant et jeunesse (Feliv) ont voulu explorer la relation entre ces deux types de narration que sont l'Histoire et le roman en organisant un débat sur ce thème, samedi dernier à l'esplanade de Riadh El Feth. Pour ce faire, quatre invités : l'écrivain haïtien Rodney Saint Eloi, le journaliste et poète libanais Youssef Bazzi, le poète et romancier algérien Mourad Djebel et l'universitaire Algérienne Amina Bakkat, sous la modération bienveillante du journaliste et auteur algérien Yacine Tamlali. Tous les invités se sont accordés pour dire qu'entre Histoire et roman, il y a interaction : D'un côté, le romancier, en tant que produit d'une époque, ne peut échapper dans ses œuvres au cadre historique. Et il arrive souvent qu'un évènement particulier ou marquant soit le point de départ d'un travail romanesque, qu'une période, si lointaine fut-elle, soit explorée par le biais de la littérature, ce qui aboutit à un cas «extrême du genre» pour reprendre Mme Bakkat, le roman historique. De l'autre côté, l'Histoire est un récit officiel, donc un enjeu de pouvoir. Rodney Saint Eloi évoque une question de «perspective», manière de dire que l'Histoire est écrite par les vainqueurs. Avec ce que cela suppose comme impartialité, voire comme mensonges dans certains cas. Face à cela, le roman peut en effet jouer un rôle de révélateur. Pour Mme Bakkat, le roman a pris en charge, comme ce fut le cas avec Rachid Boudjedra dans le Démantèlement, ce que l'historien, sous l'influence du politique, a volontairement omis, comme les massacres de Mellouza ici. M. Saint Eloi va plus loin en évoquant la possibilité pour la littérature de rétablir aux yeux du monde l'image d'un peuple. Les Haïtiens ont, selon lui, trop longtemps souffert d'une réputation de «peuple violent». Et la littérature a tenté dans son pays d'inverser justement les perspectives : la violence étant une réaction légitime à une autre violence, première celle-ci, du racisme et de la colonisation. Mourad Djebel a, quant à lui, privilégié une notion essentielle en littérature, celle du doute. En effet, le romancier et poète a raison de dire que le travail d'un écrivain s'effectue dans et par le doute. C'est-à-dire que la littérature en tant que questionnement prend un risque en investissant une époque avec une «sensibilité contemporaine», l'anachronisme étant difficile à éviter pour qui prétend écrire l'Histoire par le biais du roman. Ce dernier peut, au mieux, selon Mourad Djebel, investir les répercussions de l'Histoire sur les individus. L'écrivain est en droit d'«interroger le récit collectif» en tant que fondement du présent. L'intervention de Youssef Bazzi a apporté un autre angle de vue. A la question : «Qu'est-ce qu'écrire l'Histoire ?», le journaliste et poète libanais préfère celle de : «Qu'est-ce que la littérature ?». «Serions-nous du côté d'Homère et de celui d'Hérodote ?», a-t-il demandé. N'étant ni partisan d'une écriture (d'une poésie) pédagogique, trop impliquée dans les changements politiques et sociaux, comme ce fut le cas de la poésie arabe dans les années 1940, lors de la Nahdha. Ni du côté d'une poésie de «l'art pour l'art», trop hermétique et qui a tourné le dos à son époque, ni même du lyrisme révolutionnaire et militant des années 1960. Que reste-t-il alors ? Il y a, selon Youssef Bazzi, une autre voie pour la poésie, et la littérature en général. Celle d'une prise en compte de l'influence directe de l'Histoire sur l'individu. Parlant de sa propre expérience de la guerre civile, il évoque à quel point l'évènement a pu le marquer jusque dans sa langue, «une langue elle-même devenue ruine». Comme ce fut le cas pour la question du philosophe Adorno : «Est-il possible de faire de la poésie après Auschwitz ?», et la réponse contenue dans la langue atomisée des poèmes de Paul Celan, Youssef Bazzi a magistralement démontré que l'écrivain en tant qu'individu est marqué «jusque dans son corps» par l'Histoire.


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