Photo : Hacene Par Bahia Aliouche L'Algérie a connu au début de l'année 2011 des émeutes contre, entre autres, la forte hausse des prix de certains produits alimentaires de base tels le sucre et l'huile, ayant atteint respectivement 120 DA/kg et 950 DA/5 litres. Pour calmer la colère des citoyens, les pouvoirs publics ont pris des mesures d'«urgence», visant le plafonnement des prix du sucre à 90 DA et de l'huile à 600 DA et la suppression de l'application des tarifs douaniers (5%), de l'IBS (19% pour la production et 25% pour la distribution) et de TVA (17%) sur les importations ou la production des sucres roux et blanc et des matières premières des huiles alimentaires. Depuis ce mouvement de protestation, M. Mustapha Benbada, ministre du Commerce, a multiplié les rencontres avec les opérateurs économiques et les différents ministres afin d'établir des lectures sur le décret exécutif fixant les marges de bénéfice et le plafonnement des prix du sucre et de l'huile de table, en application de la décision de janvier 2011 du gouvernement pour juguler les prix de ces deux produits. Quatre conseils interministériels ont été organisés en ce sens, suivis de la tenue du Conseil des ministres en février dernier. La question de préservation du pouvoir d'achat des citoyens a été au menu de ce conseil. «Cette question fondamentale doit être l'objet de consolidation dans le sens des décisions déjà prises l'année dernière et celles du début de cette année», avait estimé le président de la République, Abdelaziz Bouteflika qui intervenait lors du Conseil des ministres. A cet effet, le chef de l'Etat a, entre autres, ordonné au gouvernement «d'intensifier l'encouragement du développement de la production agricole et agroalimentaire locale, ainsi que la régulation du marché des produits maraîchers et des viandes, et de renforcer l'administration du contrôle commercial pour un meilleur encadrement du marché». Il a également chargé le gouvernement «d'alléger les formalités et procédures destinées au transfert du petit commerce informel sur la voie publique vers des sites aménagés en concertation avec les associations et représentants des concernés». Revoir la politique nationale du commerce La décortication des mesures prises lors du Conseil des ministres nous mène vers un seul et unique constat : la politique nationale visant le développement du secteur du commerce est à revoir. La forte hausse des prix du sucre et de l'huile et la prédominance de l'informel ont donc démontré que cette politique est complètement défaillante. De ce fait, il est impératif d'évaluer les démarches entreprises pour le développement du commerce afin d'arrêter un programme de réformes et d'apporter des solutions aux questions du commerce de manière globale en relation notamment avec la régulation du marché, la préservation du pouvoir d'achat, le contrôle économique, etc. D'où la décision de tenir, en juin 2011, des assises nationales du commerce pour débattre toutes ces questions. Des assises pour évaluer les démarches entreprises Précédées par l'organisation d'assises locales et régionales, en avril et mai derniers, les assises nationales du commerce se sont ouvertes le 25 juin dernier à Alger, offrant l'occasion aux participants représentant différents secteurs de dégager une vision nationale globale, en vue d'améliorer la performance du secteur. Il a été question, pendant deux jours (25 et 26 juin) et à près d'un mois du Ramadhan, une période où la problématique de la régulation du marché revient sur la scène, d'établir un état des lieux du secteur du commerce, d'identifier les forces et les faiblesses de la démarche entreprise et de l'évolution du secteur du commerce en vue de son développement permanent, et d'arrêter la stratégie nécessaire à l'amélioration des performances sectorielles. Les travaux en ateliers ont été articulés autour quatre thématiques principales, à savoir la régulation de l'activité commerciale, l'encadrement du commerce extérieur, le contrôle économique et les ressources humaines, et ce, afin de permettre au secteur du commerce de prendre une place dans la stratégie économique nationale en le dotant des moyens lui permettant de concrétiser ses programmes et projets. Les infrastructures commerciales font défaut Présidant l'atelier ayant pour thème «La régulation commerciale», M. Aït Abderrahmane a soulevé les insuffisances enregistrées dans ce secteur, notamment en termes d'infrastructures commerciales. Il a, aussi, mis l'accent sur la désorganisation des circuits de distribution et la multiplication des intermédiaires qui, selon lui, sont parmi les causes principales du renchérissement injustifié des coûts et des prix des produits. Abordant la politique nationale des prix, Aït Abderrahmane a rappelé qu'au vu du dispositif législatif et réglementaire en vigueur, les prix sont réputés libres, exception faite pour un groupe restreint de produits et services dont les tarifs sont fixés par l'Etat. Néanmoins, reconnaît-il, les prix pratiqués ne reflètent point les coûts économiques réels ayant abouti à leur formation. Ils sont, estime-t-il, superficiels, occasionnés par les surcoûts induits par la multiplicité des intermédiaires. Au sujet du commerce informel, ce responsable impute la prolifération du commerce parallèle au manque flagrant des marchés quotidiens, de proximité, des marchés couverts, etc. Concernant le registre du commerce, il est constaté, selon Aït Abderrahmane, l'existence de plusieurs registres du commerce dans un même local, des activités non homogènes sur un même registre ainsi que l'exercice de certaines activités sans qualification préalable. L'investissement dans la grande distribution à prescrire En vue de remédier aux insuffisances et aux dysfonctionnements relatés au niveau de cet atelier, ces assises ont ressorti plusieurs recommandations. Nous citons, entre autres, la mise en place d'un plan d'urbanisme commercial cohérent et adapté répondant au cadre du développement structurel du secteur du commerce, en s'appuyant sur les principes d'organisation spatiale et qualitative du tissu commercial. Il a été, également, proposé la création d'entreprises publiques spécialisées dans la gestion des stocks stratégiques et de sécurité en produits de première nécessité. D'autres propositions ont été faites, notamment l'implantation des marchés de gros de fruits et légumes à la périphérie des grandes villes, l'encouragement de l'investissement dans le domaine de la grande distribution ainsi que les investissements dans les infrastructures de stockage, la mise en place d'un extrait de registre du commerce infalsifiable (électronique et/ou toutes autres formes), ainsi qu'un mécanisme approprié pour renforcer le pouvoir d'achat du citoyen au lieu du soutien direct des prix. Le commerce extérieur a besoin d'encadrement Outre la régulation du commerce, les participants ont débattu, en atelier, le volet lié à l'encadrement du commerce extérieur. M. C. Zaâf, président de cet atelier, a d'abord évalué les actions réalisées dans ce cadre, tout en identifiant les contraintes empêchant la promotion des exportations hors hydrocarbures. Il s'est, également, attelé à l'examen des moyens de valorisation des capacités d'exportation, à travers l'encouragement des exportations hors hydrocarbures. De ce fait, pour mieux encadrer le commerce extérieur, il a été recommandé la mise en place d'un comité de facilitation des procédures à l'importation, l'installation du conseil national consultatif pour la promotion des exportations et le renforcement de la mise en oeuvre du Fonds spécial de promotion des exportations (FSPE) à travers la mise en place des textes réglementaires d'application. Il a été, également, proposé de procéder à l'amendement du décret exécutif 10-89 du 10/03/2010 fixant les modalités de suivi des importations sous franchise de droits de douane dans le cadre des accords de libre-échange, afin de permettre la délivrance des visas de demande de franchise au niveau des directions du commerce des wilayas pour les matières premières et intrants destinés aux producteurs. La promotion du partenariat entre les agriculteurs et les industriels de la filière agroalimentaire figure, aussi, parmi les recommandations faites à l'issue de l'atelier consacré à la promotion du commerce extérieur. Mise en place d'un réseau d'alerte pour les produits à risque Quant au troisième atelier consacré au contrôle économique, son président, M. Boukahnoune, a indiqué que l'organisation, en avril et mai 2011, des assises locales et régionales a permis de passer en revue les insuffisances relevées sur le terrain en matière de moyens humains et matériels, celles ayant trait à l'application de la législation et de la réglementation en vigueur ainsi que les carences ressortant des actions arrêtées au plan de la coordination intersectorielle. Pour remédier à cette situation, il a été recommandé de moderniser et d'informatiser la gestion du contrôle économique, de renforcer la transparence des pratiques commerciales, en sanctionnant en priorité et avec fermeté toute vente sans facture, de réactiver le conseil de la concurrence en vue d'assurer la régulation concurrentielle, de mettre en place un réseau d'alerte pour les produits à risque, dont l'organisation et le fonctionnement devront s'inspirer des normes et standards internationaux, ainsi que de créer un comité intersectoriel de lutte contre la contrefaçon et une brigade mixte (commerce-douanes-Banque d'Algérie) pour contrôler les infractions relatives au change et à la circulation des capitaux. Nécessité de mettre en valeur les ressources humaines Un accent particulier a été mis sur les ressources humaines et la communication dans le secteur du commerce. Plusieurs points liés à l'emploi, à la gestion des carrières, à la formation et à la coordination entre les instances du secteur ont été abordés au cours d'un atelier consacré à cette thématique. M. N. Cherih, président de cet atelier, a soulevé les insuffisances enregistrées dans ce domaine notamment en matière d'équipement et d'informatisation des applications relatives aux activités du secteur du commerce. L'autre insuffisance enregistrée est liée à la durée des cycles de formation, qui, selon M. Cherih, «demeure toujours courte, en l'absence d'un centre de formation». Ce dernier a fait savoir que le ministre du Commerce a donné son accord pour la réalisation de ce centre à l'intérieur du pays, faute d'assiettes foncières à Alger. Quant à la formation à l'étranger, le nombre de bourses ne dépasse pas la dizaine par an, a-t-il précisé en marge de ces assises. Cet atelier a été sanctionné par des recommandations proposant, entre autres, pour le personnel nouvellement recruté, une formation préalable de moyenne durée adaptée à chaque corps, des cycles continus de formation et de recyclage visant la mise à niveau des personnels ainsi que la signature de conventions entre les CCI et le ministère du Commerce pour la prise en charge des aspects liés à la formation, au perfectionnement et au recyclage. Clôturant les premières assises nationales du commerce, M. Benbada a indiqué qu'«un mécanisme de suivi de l'application de ces recommandations sera mis en place».