De notre correspondant à Constantine A. Lemili Si l'on doit se fier aux propos de M. Tafer, lieutenant de la protection civile à Constantine, «(…) tous les corps repêchés dans le Rhummel aux pieds des ponts de Sidi-Rached, Sidi-M'cid, Mellah et El-Kantara appartiendraient à des personnes dont le suicide n'est pas évident». Mieux encore, ils ne sont pas considérés en tant que tel dans la comptabilité morbide des interventions des sapeurs. Un argumentaire qui équivaudrait à dire que tous les cadavres repêchés dans les conditions précédemment évoquées pourraient appartenir à des personnes qui, s'ennuyant à… mourir sans doute comme les éléphants, décident en ce qui les concerne de se retirer pour finir leur vie sur les berges du Rhummel après avoir pris le soin de bien s'amocher, compte tenu de l'état physique dans lequel ils sont récupérés.Alors, à notre question sur les statistiques des suicides au titre de l'année 2010, l'officier nous donnera une réponse renversante : «Zéro.» Sauf que durant toute l'année, des personnes se défenestrent sous les yeux des passants parmi lesquels certains appellent au téléphone les agents de la protection civile qui, heureusement, arrivent même si c'est régulièrement avec du retard et lestent dans l'abîme leurs collègues spécialisés. Ces derniers font des recherches, remontent le corps si celui-ci est visible sur les parois, accroché par les rochers, les arbustes et souvent celui-ci n'est pas visible et pour cause noyé dans les eaux opaques de l'oued, d'une part, et en raison des remous torrentiels, d'autre part. Il revient alors aux plongeurs de s'acquitter de cette mission dont la durée est impossible à évaluer, en ce sens qu'il faudra tenir compte de la profondeur de l'endroit, des endroits dérobés dans lesquels le corps peut se trouver en retrait si ce n'est totalement dissimulé ou encore charrié à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, d'où la nécessité de draguer tout le cours.La protection civile qui participe de bout en bout et essentiellement dans la récupération de ces corps ne peut certainement pas ignorer qu'il s'agit d'un suicide. A moins d'en décider autrement pour des raisons difficiles à cerner et encore moins rationnelles, exception faite d'une éventualité plutôt politique qui consisterait à contribuer sur les exigences des pouvoirs publics à taire sciemment le fléau, qui serait illustratif d'un malaise social et pourquoi pas sociétal. Car il relève du paradoxe qu'en même temps, l'officier de la protection civile affirme qu'«il n'y a pas eu de suicide au cours de l'année 2010» et fournit simultanément le nombre de «5 cadavres repêchés aux pieds des ponts» pour confirmer la même chose pour les sept premiers mois de 2011 avec toutefois «3 cadavres remontés de l'abîme».Face à notre étonnement, le lieutenant Tafer explique : «Il n'existe aucun élément qui puisse attester qu'il s'agisse d'un suicide. La mort pourrait résulter d'une chute, voire du corps d'une personne décédée dans d'autres conditions et dont le corps aurait été traîné jusque-là.» A ce stade du raisonnement il ne s'agit plus de logique scientifique sinon de logique toute simple, mais littéralement du contenu d'un roman noir, un thriller.Il faudrait quand même bien qu'un organisme, une institution établisse d'une manière claire et définitive ces décès. «Les corps sont déposés à la morgue et ce sont d'autres services qui prennent le relais», nous précisera l'officier. Ces autres services sont la médecine légale et la police scientifique. Néanmoins ces deux organes communiquent-ils les résultats de leurs travaux à la protection civile, ce qui serait quand même la moindre des démarches ? «Non, nous ne nous sentons plus concernés par la question, il nous est alors impossible de vous répondre sur le sujet», conclura notre interlocuteur.Voilà donc une ville où les suicides sont légion parce que les conditions sont réunies avec la présence de quatre très hauts ponts surplombant les méandres du Rhummel, une ville également dont les habitants sont toujours penchés sur les garde-fous parce qu'il ne se passe pas une décade où il n'y a pas un suicide ou une tentative de suicide, une ville encore où les meilleurs témoins sont les centaines de passants qui voient une personne enjamber ledit garde-fou pour se laisser choir dans le vide sidéral, mais aussi et surtout une ville où finalement et officiellement il n'y a pas de suicide mais des décès non élucidés.La protection civile assume toutefois, et pourrait-il en être autrement parce que l'action la met en exergue et magnifie son action, ses missions : le sauvetage in-extremis de 8 personnes qui avaient tenté de mettre fin à leur vie en 2010 et 2011. La prouesse ? Elle est simple : travail psychologique de persuasion. Eternel et post-mortem sera donc le regret des individus sur le chemin desquels les sapeurs-pompiers ne se sont pas trouvés au moment fatidique.