Chaque soir, comme des mlouks, les jeunes et les familles de la région venaient assister en nombre au rituel musical. Des troupes et des maîtres, des maalams ont entrepris une percée de cet art ancestral sur un public réglé en mode complexe et raffiné de l'andalous ou du hawzi. Les groupes et interprètes de réputation internationale avaient pour nom : Orchestre national de Barbès, Maalam Hassan Boussou, University of Gnawa et Aziz Samhaoui, Band of Gnawa ou encore Fangnawa. Difficile de faire mieux en termes de programmation. A Alger, ville où se sont déroulées les précédentes éditions du festival, ces noms auraient presque provoqué des émeutes et les prix des billets atteint des sommets. Mais la quatrième édition a été délocalisée !Dans un espace nouvellement érigé à la faveur de la manifestation «Tlemcen capitale de la culture islamique», les sons des guembris, qraqebs, tambours parfois mêlés avec guitare électrique, basse, batterie et autres synthétiseurs emplissaient l'air. Le Théâtre de verdure, controversé avant sa naissance pour le choix de son implantation, une banlieue jadis le plus grand bidonville de la wilaya, par des Tlemcéniens à la mémoire vive et la rancœur tenace. Première soirée, le prestigieux Orchestre national de Barbès (ONB), qui a l'habitude d'hystériser les foules, se demande s'il est le bienvenu sur scène. Les gradins du théâtre de verdure d'El Koudia étaient pourtant pleins dès 22h. L'accès gratuit pour les jeunes et les familles y était pour beaucoup. Mais devant l'art incontesté de ces maîtres de la scène, le public reste sage, amorphe et indécis pendant de longues minutes. L'un des membres du groupe a beau supplier l'assistance de créer plus d'ambiance, rien n'y fit. Difficilement, puis graduellement, les familles des vacanciers et les jeunes d'El Koudia se prennent au jeu. Heureusement, d'ailleurs, car un malaise commençait à se sentir sur scène. Il aura ainsi fallu beaucoup d'efforts, une explosion d'énergie et une bonne humeur affichée pour que l'Orchestre national de Barbès conquière finalement ce public. Alors que certains pensaient que la première soirée a réussi, même difficilement, à charmer les spectateurs tlemcéniens, il faut dire que le challenge devait être soulevé chaque soir du festival. Au troisième programme, un spectacle hallucinant a attristé organisateurs et artistes. Le public du théâtre de verdure semble obéir à un mot d'ordre. L'occupation des gradins commence à 21h45; à 23h45 la grande majorité des spectateurs quittent en même temps l'espace. Cela pourrait sembler amusant, mais quand le public s'en va comme ça juste au moment où un artiste entame ses premiers sons, la frustration est terrible. Après une première partie accrocheuse, interprétée par Ouled El Hel dans le plus pur style gnawi, la montée sur scène de Maalam Hassan Boussou a payé les frais de cette mécanique des foules. L'artiste qui s'est produit sur les différentes scènes du monde n'en revenait pas que les familles et les jeunes tlemcéniens quittent l'espace sans concession. Le coup émotionnel était tellement fort que les organisateurs ont dû le programmer le lendemain pour en atténuer la frustration. Après s'en être inquiété auprès des spectateurs, il s'avérera que le mot d'ordre n'en était pas un finalement. Les explications fournies avaient pour motivation l'heure tardive et l'éloignement du site par rapport au centre-ville. Plus tard, les langues se délient et les commentaires se libèrent. «Les familles de Tlemcen n'iront pas au théâtre de verdure. Il est mal fréquenté», assène un jeune issu de la capitale des Zianides. Mal fréquenté, car situé à la sortie sud de la ville. Mal fréquenté, car construit sur un ancien bidonville. Parce que également il y avait trop de jeunes d'El Koudia. Pourtant, dans l'arène, ces jeunes se comportaient d'une manière plus que correcte. Les organisateurs ont même été surpris par leur calme. Aucun débordement et à aucun moment n'a été remarqué. Mais apparemment il suffit d'être à quelques miles du centre-ville pour devenir infréquentable ! L'autre facteur déterminant dans l'ambiance peu explosive du théâtre de verdure d'El Koudia est culturel. Le public habitué à rester des heures à écouter des noubates n'a pas saisi tout de suite la décharge d'énergie d'une musique née des «esclaves». Esclaves et ancêtres des gnawis qui occupent actuellement les scènes du monde, exhibant avec fierté le brassage de cultures et de sons issus de l'Afrique noire, couvés dans le Maghreb et jaillis en intégrant la dimension universelle. Heureusement, l'organisation du festival a tenu bon. Plus que bon. Et quand on insiste, ça finit toujours par payer. Le constat s'est avéré avec les University of Gnawa et Aziz Samhaoui. La symbiose était totale. Il faut dire qu'il était difficile de faire la fine bouche après une prestation aussi entraînante. Ce qu'il faudra retenir de la 4e édition du Festival international du Diwan est d'abord cet art qui se conjugue à tous les temps et à tous les modes. De l'exorcisme, des rituels communautaires restreints, du spiritisme, il est sorti de l'ombre pour éclairer les scènes et s'intégrer dans les différentes formes d'expression musicale. Le son gnawi est désormais dans le rap, le raï, le rock, le jazz…Second enseignement, il est important de décentraliser les événements culturels; Alger, certes, n'est pas l'Algérie, et tout le peuple algérien a droit à la culture. Mais pour qu'un festival s'installe dans le temps et rencontre du succès, il est impératif qu'il ait des repères spatio-temporels. Si on voulait de la musique gnawi à Tlemcen, le mieux aurait été de créer un évènement complètement indépendant du festival international qui a ses fans et ses habitués. Et puis, rappelons que si la musique et l'art sont universels, les goûts et les émotions dépendent des acquis culturels, des sensibilités collectives ou individuelles. Cibler la population et le type de culture proposée est aussi important. S. A.