Les familles des dix-sept marins algériens détenus au large des côtes somaliennes ont organisé hier un rassemblement au niveau de l'esplanade de la Grande-Poste afin de faire entendre leur voix auprès des citoyens, maintenant que l'Etat et ses institutions ne veulent plus les écouter. «Nous sommes ici pour que nos compatriotes puissent enfin prendre connaissance de notre détresse. Nous voulons aller à la rencontre de nos concitoyens dès lors que toutes les portes des instituions de l'Etat y compris la Présidence de la République, nous ont été fermées», affirment les familles. «Nous prenons à témoin les citoyens, car les autorités ne nous écoutent plus !», lance un des manifestants. Outre les institutions de l'Etat, les proches des marins ont dénoncé l'absence de l'ENTV qui n'a plus abordé l'affaire depuis début janvier dernier pour annoncer leur prise d'otage. «Depuis ce jour-là, notre télévision n'a plus reparlé d'eux malgré les innombrables sit-in et rassemblements que nous avons tenus. Entre-temps, nous avons fait deux apparitions sur une chaîne d'information française très regardée.» Des policiers zélés ont, cependant, tenté d'empêcher le rassemblement. Les familles se sont vu signifier qu'elles devaient se déplacer au niveau du jardin mitoyen de la Grande-Poste. Refus catégorique des familles. «Nous n'irons pas là-bas pour qu'on se fasse une nouvelle fois brûler par le soleil, comme nous en avons fait l'amère expérience lors de notre rassemblement devant le ministère des Affaires étrangères», répond sèchement une sœur d'un des otages, l'air courroucé. Peu de temps après s'être installés sur les lieux arborant des banderoles appelant le président Bouteflika à intervenir pour faire libérer les otages, les badauds, pour la plupart ignorant tout de cette affaire, ont commencé à se masser autour des manifestants. Après un échange avec les familles, nombreux étaient les citoyens qui ont tenu à témoigner leur solidarité avec les familles des marins. Un jeune homme glisse une phrase pleine de compassion à Fawzi Aït Ramadane, fils de l'un des marins. «Nous allons prier pour vous dans nos prières !», lui dit-il. Un autre s'approche de Mme Aït Ramdane, maman de Fawzi, et lui a dit qu'il était prêt à leur témoigner sa solidarité. La dame lui tend une banderole qu'elle portait. Le jeune s'exécute promptement et se met à côté d'elle. «Moi, je travaille au port, et je comprends parfaitement votre détresse», lui annonce-t-il. Sous le coup de l'émotion, les proches des marins otages des pirates somaliens depuis 8 mois, pleurent leurs proches. Désespérées, lassées des fausses promesses de l'affréteur jordanien du vraquier MV Blida, les familles des marins passent cette année le pire Ramadhan de leur vie, en l'absence des siens. «On n'arrive plus à manger ; lorsqu'on pense à eux (les marins, ndlr) en sachant les conditions dans lesquelles ils survivent, nous n'avons plus envie de manger. Nous n'en pouvons plus !», lâche en larmes la sœur de Kahli Smail, 60 ans, les plus âgé des marins détenus. Benkaci Souhila, sœur du plus jeune otage, Achour (29 ans), exprime ses craintes quant au sort de son jeune frère compte tenu de son comportement qu'elle juge imprévisible. «Je m'inquiète pour lui, j'appréhende très sérieusement ses réactions. Il est jeune, et c'est tout à fait naturel qu'il veuille se sentir libre et vivre sa vie de jeune adulte. Maintenant qu'il est lui et ses collègues entre les mains des pirates, j'ignore quelle pourrait être sa réaction», relate-t-elle. Et de poursuivre : «Ma mère ignore tout de ce rapt ; elle pense toujours que mon frère est parti en mission ignorant qu'il est entre les mains des pirates. Je n'ai pas osé lui dire la vérité. Il a embarqué à la mi-décembre pour une mission qui devait durer 6 mois. Le contrat de mon frère a expiré en juin dernier et ma mère commence à s'inquiéter.» Le dernier appel émanant des marins remonte au 9 juillet dernier. «Leur voix était exténuée. Ils étaient fatigués, mal en point. Cela ne peut être autrement, car sous une chaleur frôlant les 55°, on leur ramène du riz et une eau impropre à la consommation», s'écrie Mme Kahli. «Des milliers de Somaliens fuient massivement la famine qui sévit dans la région, peut-on imaginer le sort des marins ?» Pour Mme Aït Ramdane, «c'est l'Etat qui les a obligés à partir en mission et c'est à lui de les libérer. Ils portent des passeports algériens, ils sont partis travailler. Ils ne sont pas des harraga. Si tel avait été le cas, on n'aurait pas exigé de l'Etat qu'il les libère !». Malgré leurs conditions de «survie» inhumaines, les marins, en bons musulmans qu'ils sont, observent le jeûne. «Plutôt mourir que de casser le jeûne», avait dit au téléphone le marin Aït Ramdane à son épouse. «Ils avaient bon espoir de se retrouver libre avant le mois sacré. Mon mari m'a dit : si d'ici le mois de Ramadhan, nous ne sommes pas libérés, attendez-vous au pire», affirme l'épouse éplorée. A signaler qu'une pétition intitulée «Pour la libération des marins algériens otages en Somalie» a été lancée hier sur le réseau social Facebook, en vue d'attirer le maximum d'adhésion citoyenne à ce combat. Y. D.