De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali Les Oranais marmonnent, mais achètent. Ils pestent contre l'envolée injustifiable des prix des produits alimentaires dès qu'il est question du Ramadhan et la saignée dont ils sont régulièrement victimes, mais ils vident leur porte-monnaie pour remplir leurs couffins.Dans les différents marchés de fruits et légumes, aussi bien officiels qu'informels, l'ambiance est partout la même : les consommateurs froncent les sourcils devant les prix annoncés et rarement affichés, font le tour des tables à la recherche de la marchandise la moins coûteuse avant de se rendre à cette évidence que les prix sont presque les mêmes et d'ouvrir le portefeuille : «Les produits sont vraiment chers, mais nous n'avons pas le choix, il faut préparer la table pour les enfants. C'est quand même le Ramadan !!», répondent, en substance, les Oranais pour justifier cette attitude aux allures de capitulation de la loi du marché. Même les commerçants s'étonnent de cette fièvre acheteuse qu'absolument rien ne justifie si ce n'est une quelque incompréhensible crainte : «On dirait que les gens sont devenus fous, s'est exclamé l'un d'eux lundi dernier, premier jour de Ramadan. J'en ai vu qui achetaient en gros comme si nous étions au bord de la famine ou sur le point d'entrer en guerre. Ce sont ces gens-là qui augmentent les prix !!» L'homme est catégorique : les consommateurs doivent changer de comportement et faire preuve de plus de retenue, les prix baisseraient d'eux-mêmes et le marché retrouverait probablement un certain équilibre.Pour beaucoup d'observateurs, les consommateurs sont aussi coupables de la hausse des prix que les importateurs, les revendeurs ou les commerçants. On jette régulièrement l'anathème sur ces spéculateurs qui profitent du mois sacré pour faire de bonnes affaires sur le dos des Algériens, mais on évoque très rarement le rôle du consommateur lui-même dans l'emballement des prix : «C'est parce qu'ils sont convaincus de son inaptitude à la modération pendant le Ramadan que les spéculateurs font monter les enchères. Ils savent, d'une part, que l'Etat n'interviendra pas au prétexte que les prix sont libres et, d'autre part, que les Algériens sont incapables de se retenir. Ils sont, par conséquent, assurés de gagner à tous les coups», analyse avec quelque justesse un consommateur qui s'enorgueillit de ne pas trop céder à la panique générale : «Déjà que les prix sont incroyablement élevés, je n'ai pas le droit de me laisser aller. Je n'achète que ce dont j'ai besoin, sans excès, que je ne peux, d'ailleurs, pas me permettre !», explique ce cadre d'une entreprise privée, marié et père de trois enfants.Très loin de ces considérations, le commun des Oranais continue de satisfaire à sa fringale ramadhanesque tout en fustigeant les spéculateurs qui le saignent à blanc et les contrôleurs qui ne font pas leur travail.Même si ceux-ci restent innocents des quantités de nourriture qui échouent, au petit matin, dans les sacs poubelles… que des ombres, souvent très petites, viennent fouiller pour assouvir une faim qui n'est pas seulement due au Ramadhan.