Les exigences d'un grand peuple sont à l'échelle de ses malheurs. Auteur de cette sentence, le général de Gaulle avait su donner à la France des ambitions alors sans rapport avec sa taille économique, sa dimension géopolitique et ses possibilités militaires. Pays central d'un ensemble sahélo-maghrébin confronté à un terrorisme transfrontières, l'Algérie, elle, se limite, à ce jour, à un rôle sans commune mesure avec son poids géopolitique, ses moyens financiers et l'étendue des menaces à ses frontières subsahariennes. L'histoire, la géographie, l'économie, la démographie et les menaces à ses vastes frontières méridionales, tout concourt à l'amener à avoir et à afficher de moins modestes ambitions diplomatiques. Depuis l'indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet 2011, l'Algérie est devenue le plus grand pays d'Afrique par la superficie. Elle est le quatrième pays africain le plus peuplé, partage ses frontières avec six pays voisins, possède le quatrième PIB et désormais la troisième armée du continent. Pour autant, la multiplication des menaces non-conventionnelles à ses frontières, l'implantation d'AQMI sur son flanc Sud et l'irruption du désordre libyen à ses frontières Est, ne l'ont pas incité à jouer un rôle plus conforme aux impératifs géopolitiques. Sa diplomatie est restée figée dans le respect pointilleux des principes de souveraineté, de non-ingérence et du bon voisinage dans la coopération. Autant d'axiomes à la base de sa diplomatie tiers-mondiste, militante et non-alignée des années boumédienistes. Une diplomatie donnant rarement l'impression de voir dans le Sahel la profondeur stratégique du pays. Une zone de dynamiques crisogènes qui en font le ventre mou de la sécurité nationale. Une région stratégique et vitale. Un bloc de jonction entre Maghreb et Afrique de l'Ouest. Une zone d'influence française. Un champ de choc d'intérêts français, américains et chinois. Et, depuis quelques années, base de repli et de lancement du terrorisme labellisé Al Qaida. L'ancienne Afrique soudanaise a gagné aussi en importance économique avec l'or et l'uranium en Algérie et au Niger, la découverte de pétrole au Tchad et les phosphates en Mauritanie. Engoncée dans un costume légitimiste désormais étriqué, la diplomatie algérienne ne semble pas avoir intégré, en tout cas pas assez, l'idée que l'initiative américaine Pan-Sahel est depuis 2002 un essai de création d'un cadre de coopération régionale préemptif de la menace terroriste. Pourtant, en matière de lutte antiterroriste, la diplomatie algérienne a déployé tant d'énergie. Notamment pour faire admettre à la communauté internationale la justesse et la pertinence de ses propres thèses en même temps que le caractère transnational du terrorisme. C'est ainsi qu'elle a œuvré, deux décennies durant, pour l'adoption d'une convention globale contre le terrorisme dans le cadre onusien. Elle fut aussi à l'origine de diverses tentatives aux échelons arabe et africain, avec notamment deux conventions sur le terrorisme. Elle est aussi l'architecte de la résolution 1904 du Conseil de sécurité de l'ONU contre le paiement de rançons aux terroristes. Cet activisme méritoire, autant que le poids géostratégique du pays, ses capacités économiques et militaires, l'importance des menaces à ses limites sahéliennes et sa précieuse expérience antiterroriste, sont de bonnes raisons pour se penser en leader incontestable dans l'aire sahélo-maghrébine. Les pays de l'arc sahélien, qui n'ont pas ses atouts stratégiques, attendent d'elle de jouer ce rôle essentiel de pivot régional tant souligné par les Etats Unis et la Grande Bretagne. Comme d'autres, ils inscrivent à son actif la création d'une épistémè sécuritaire au Sahel, avec une logique de coopération et de coordination régionale, fondée sur le rejet systématique de toute ingérence étrangère. A l'image de l'Arabie Saoudite, moteur et leader incontestable du CCG, le Conseil de coopération du Golfe, l'Algérie devrait donc œuvrer à la création d'un Conseil de coopération des pays du Sahel. Un ensemble qui engloberait les pays du Champ et les autres voisins régionaux qui n'ont pas de frontières subsahariennes comme le Maroc, la Tunisie ou le Soudan, voire certains pays africains frontaliers du Mali et du Niger. Se posant et s'imposant en leader naturel, l'Algérie développerait alors un nouveau concept de sécurité nationale enraciné dans une logique de préemption et de prévention, pas seulement de protection. Concept d'une diplomatie enfin ambitieuse, enfin offensive, enfin active et pas uniquement réactive. N. K.