En Arabie Saoudite, terre de l'ultime prophétie, Dieu créa la femme. Aujourd'hui, le roi Abdallah, son ombre sur la terre sainte, lui octroie, dieu merci, le droit de voter et d'être éligible, dès l'an de grâce 2015 ! Bonté divine, une vraie révolution autour du mausolée de la Kaaba et sous les keffiehs des émirs ! Le monarque de droit divin semble braver ainsi les gardiens sourcilleux du rigorisme wahhabite qui considèrent la Saoudienne et toutes les filles d'Eve comme des créatures sataniques. En réalité, le roi a réagi plus qu'il n'aurait agi car le feu de la révolution arabe environnante risquait de lécher les pans de la dishdasha des dignitaires de son régime. Il est vrai que le royaume a été largement épargné par les convulsions démocratiques dans la région. Jusqu'ici, quelques murmures de mécontentement parmi la minorité chiite dans la Province de l'Est ont été rapidement réduits au silence. Le gouvernement, fort de la corne d'abondance pétrolière, a distribué de très généreux subsides dans le cadre de mesures préventives visant à étouffer toute velléité de dissidence. Eviter les exemples yéménite ou bahreïni, à tout prix ! Mais, plus qu'une révolution politique improbable, œuvre de cyber-démocrates sur Twitter et Facebook, la monarchie redoute beaucoup plus une révolution des mœurs dont la femme saoudienne serait le conducteur. Déjà, durant l'été torride des déserts de Nadjd et Hadramaout, une campagne, délicieusement séditieuse, menée par des femmes réclamant le droit de conduire, menaçait d'ébranler le statu quo social. Cette révolution, dont l'objet de désir révolutionnaire est la voiture, a même son symbole féminin sous les traits mystérieux d'une probable beauté voilée de la ville de Dammam. La femme, au prénom évocateur de Manal, c'est-à-dire une douce aspiration, et au nom noble de Sharif, a même fait deux semaines de prison. La raison: s'être elle-même filmée en train de conduire à deux reprises dans sa ville natale et avoir posté les vidéos sur You Tube. Malgré son arrestation publique, le mouvement de dissidence automobile ne s'est pas essoufflé. Dans un pays où la femme est interdite de conduire le moindre véhicule, la campagne a été bien suivie sur Twitter avec le nom parfaitement Web de Women2Drive. Le 17 juin dernier, des pilotes hardies ont bravé l'interdit en appelant à descendre dans la rue en conduisant soi-même de belles berlines. Purement symbolique, cette révolution du volant était pourtant redoutée par l'establishment politique et le redoutable clergé saoudien. Depuis le lancement du déroutant mouvement Women2Drive, les autorités, relayant les oulémas saoudiens, ont incité les hommes à battre toutes mères, épouses, sœurs, filles ou cousines qui auraient eu l'idée de se mettre au volant. Au royaume de la lapidation, de la décapitation et de la flagellation, les théologiens interdisent aux femmes saoudiennes de conduire même une bicyclette, de voyager ou d'aller à l'hôpital sans la présence d'un tuteur. Ils ont toujours trouvé toutes les bonnes raisons théologiques, sociologiques, culturelles et biologiques justifiant ces interdits que mêmes les plus réactionnaires des Talibans afghans n'auraient pas édictés. Pourtant, du temps du Prophète, qui aimait et honorait les femmes, les beautés, même voilées, conduisaient des chameaux ou les montaient. Comme Khadîdja, l'épouse préférée du Messager divin, les femmes cornaquaient des camélidés, faisaient même la guerre, sabre au clair, et dirigeaient la police des marchés. En ces temps là, elles étaient presque la moitié des hommes alors qu'aujourd'hui, au royaume wahhabite, elles ne sont que son quart ! En Arabie Saoudite, les femmes, d'avantage que les hommes, sont les victimes expiatoires des Mutawwa'een. Cette redoutable police des mœurs va jusqu'à les soumettre à la vérification de leur virginité et à les condamner pour outrage à la vertu devant une justice qui ne dispose pas d'un code pénal, ne suit pas des règles procédurales et ne délivre pas de verdicts écrits. Rien de bien étonnant lorsqu'on sait que les femmes, victimes de violeurs individuels ou collectifs, sont systématiquement condamnées, parfois plus lourdement que leurs violeurs. On est encore moins surpris lorsqu'on apprend qu'une vieille de 75 ans, par exemple, a été fouettée 40 fois pour avoir ouvert la porte à deux hommes qu'elle ne connait pas. Mais, trêve de fouet, en Arabie Saoudite, la femme aura désormais le droit d'aller voter, de siéger au conseil de sa municipalité et au sein d'un majliss Echoura purement consultatif. Mais, à condition stricte, d'y être conduite en voiture par un tuteur particulièrement vigilant ou par un chauffeur dument mandaté et digne de confiance ! Dans l'heureuse Arabie, les hommes en dishdasha ou en kameez avec keffieh et taguiyeh rêvent de perpétuer un monde où l'univers des muhajjabat, des mujalbabat et des mounaqqabat s'arrête aux courbes de la dune de sable qui entoure la tente bédouine du mari. Un monde où les voilées ne réclament pas les rênes du chameau. N. K.