C'est quoi le désert ? C'est quoi le Sahara ? Y a-t-il une différence entre les deux ? Quel est le lien qui existe entre les Hommes et cet immense espace qui nous fascine ? Qu'elle est la place qu'occupe le Sahara dans le roman africain postcolonial ? Ces questions ont été abordées dans l'espace «Esprit Panaf», lors d'une rencontre-débat avec Benouda Lebdaï et en présence de nombreux auteurs et éditeurs africains.Il est difficile de parler du Sahara même lorsqu'on y a vécu toute sa vie. Car le Sahara est aussi mouvant et actif que les hommes qui l'habitent. Il bouge au gré du vent et se mue au rythme des saisons. Le Sahara suscite fascination et peur chez les hommes et ne laisse aucun artiste indifférent. Pour ceux qui ne l'ont jamais visité, le Sahara reste un mystère. Pour ceux qui le voient pour la première fois, il provoque en eux un agréable choc émotionnel et les laisse sans mot à dire.«J'ai gardé une forte sensation qui demeure la même à chaque fois que je foule le Sahara, à chaque fois que je me mets face à cette étendue désertique qui nous fascine», a déclaré l'auteur et éditeur camerounais Marcelin Vounda Etoa qui considère le désert comme un «espace formateur de la personne humaine». Pour Aminata Sow Fall, l'auteure sénégalaise qui n'a pas encore eu la chance de visiter le Sahara, cet espace constitue une «vision de rêve». Cette romancière affirme avoir une conception émotionnelle du désert avec tout ce qu'il renferme en lui comme «mystère, couleur et forme, et la musique sourde du vent qui le traverse». Mais pour de nombreux auteurs, le Sahara est un espace de mémoire, de souffrance des peuples qui l'habitent. Mballa Elanga Mballa, auteur et éditeur camerounais, rappelle que le désert était un espace d'injustice coloniale occidentale où les habitants autochtones ont été victimes de la traite des blanches, de l'esclavage. Pour Traoré Ismailia Samba, auteur, journaliste et éditeur malien, le désert n'est pas un cul-de-sac, comme avaient tenté de le présenter certains auteurs occidentaux, cassant ainsi tous les préjugés qui font du désert africain un immense espace où les gens commercent (à travers les caravanes commerciales) pour survivre. Tout en rejetant cet énoncé consistant à différencier une Afrique noire avec une autre Afrique blanche, le responsable de l'édition La Sahélienne estime que le Sahara est «un lieu de rencontre culturelle. Le Sahara et le désert ont, eux aussi, quelques choses à donner pour nourrir d'autres cultures».Le désert est pour une majorité des auteurs africains, «un lien et non pas une frontière entre la partie nord de l'Afrique et les pays de l'équateur». Certains le qualifient de lieu de défi. Dans la littérature africaine, le roman et l'histoire sont intimement liés, affirme encore Traoré Ismailia Samba. Et cette histoire des hommes avec le Sahara est souvent tragique, chargée de violences parfois symbolique. Benouda Lebdaï, professeur algérien en littérature postcoloniale et qui a ouvert la rencontre de lundi avec un exposé sur le Sahara dans le roman africain postcolonial a constaté que le désert a cessé d'être un lieu d'échange culturel dès l'arrivée de la colonisation française. Il citera une longue liste d'auteurs qui ont écrit sur cet espace qu'il a qualifié comme un «lieu de tous les fantasmes». Selon lui, «le Sahara a été un espace de transhumance humaine pendant des siècles et la colonisation a brisé cette dynamique», ce qui explique la haine symbolique de nombreux auteurs africains envers le désert. Mais dans la littérature postcoloniale, le désert est perçu comme un refuge pour les hommes désenchantés par leurs gouvernants et les systèmes politiques mis en place au lendemain de l'indépendance des pays africains. Benouda Lebdaï a longuement disserté sur l'œuvre de Mouloud Mammeri, La Traversée que son auteur avait rédigé pour dénoncer la mainmise du parti unique sur la vie politique en Algérie au lendemain de l'indépendance de notre pays. La charge émotionnelle que provoque le Sahara chez les hommes demeure toutefois un mystère pour tous ceux qui ont tenté de parler ou d'écrire sur un espace où l'homme apprend tout simplement à se faire insignifiant. L. M.