Après l'exécution de Kadhafi dans des conditions pour le moins troubles et la chute de son régime despotique, la nouvelle Libye se retrouve de plein fouet confrontée à l'incertitude. La construction d'un Etat dans les conditions actuelles sera indéniablement ardue. Cependant, la crise libyenne pourrait avoir des conséquences notables du point de vue du droit international dans des conflits futurs ou en cours. L'Otan a décidé de mettre fin, à compter du 31 octobre, à son opération jugée «historique » en Libye. La veille, le Conseil de sécurité de l'ONU avait mis fin au mandat autorisant le «recours à la force» dans ce pays, sept mois après le début de l'intervention contre le régime de Mouammar Kadhafi. Et comme il fallait s'y attendre, l'intervention de l'Otan en terre libyenne, pour des raisons d'intérêts géostratégiques évidentes, sera enrobée dans l'appart du droit. «Nous avons entièrement rempli le mandat historique des Nations unies de protéger le peuple de Libye», déclare le Secrétaire Général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen. Seulement, le Conseil de sécurité était divisé jusqu'à la fin. L'intervention en Libye aura brouillé les pistes entre « protection des civils » et renversement du régime. La décision du Conseil de sécurité de mettre fin aux opérations militaires en Libye clôt finalement, de façon embarrassante, un chapitre de dissensions profondes au sein de l'ONU qui en sort davantage fragilisée. Le mandat initial donné par le Conseil de sécurité était de protéger les civils. L'Otan est allée outre l'objectif original de la résolution, en prenant part au conflit aux côtés des rebelles libyens et surtout en renversant le régime en place. L'exécution obscure de l'ex- maitre de Tripoli et de son fils restera également un épisode sombre dont la responsabilité ne se limite point à l'actif des combattants du CNT. Au cours des sept mois d'opérations militaires, les avions de l'Otan auront effectué 26 000 sorties et se sont livrés à 10 000 frappes aériennes et largages de bombes en Libye. Cette intervention violente aura, fait marquant, été absente des images de télévision. L'intervention de l'Otan a été, on ne peut plus déterminante, sans laquelle les forces liées au CNT libyen n'auraient jamais pu renverser le régime du Colonel Kadhafi. Washington a tenu à rappeler le rôle jugé « protecteur » de l'intervention. « C'est un chapitre dont l'histoire du Conseil de sécurité se souviendra avec fierté. Le Conseil a agi rapidement et efficacement pour prévenir un massacre à Benghazi et protéger les civils », a tenu à rappeler la représentante américaine à l'ONU, Susan Rice. De l'autre coté, deux membres du Conseil de sécurité ont le sentiment de s'être fait berner en autorisant des frappes en Libye, un quitus qui a abouti au renversement du régime libyen. Une «évolution» de la guerre qui n'a pas reçu l'accord de la «communauté internationale.» Ainsi donc, la résolution 1973 du 17 mars 2011 pourrait faire date dans l'histoire des Nations unies. L'ONU, d'ordinaire si réticente à utiliser la force, a promptement déclaré une zone d'exclusion aérienne et autorisé la mise en œuvre de «tous les moyens nécessaires» pour «la protection des civils». Le concept de «devoir de protection des civils» développé après le génocide rwandais pouvait avoir comme risque d'être dévoyé de son objectif initial plutôt vertueux. La résolution qui a permis l'intervention en Libye n'a pas été accueillie favorablement par «l'opinion internationale» mais Mouammar Kadhafi n'avait pas beaucoup d'amis et ses soutiens se comptaient sur les doigts d'une main. Il faut rappeler également que les cinq pays qui se sont abstenus, à savoir la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, et Allemagne ne se sont guère opposés à la fameuse résolution. Malaise après coup du côté de certains pays émergents. Le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, et l' Afrique du Sud voient d'un mauvais œil ce «coup de force» des Occidentaux, malgré la difficulté de la situation sur le terrain en Libye. Certaines puissances occidentales sont accusées d'outrepasser le mandat onusien et de se servir de la «responsabilité de protéger» pour intervenir dans les affaires intérieures de pays qu'ils souhaitent contrôler. «La Libye a donné une mauvaise réputation au concept de protection des civils », soulignera l'ambassadeur indien à l'ONU, Hardeep Singh Puri. « Nous avons constaté de nombreuses violations de la résolution 1973. De sérieuses leçons devront être tirées », réagira l'ambassadeur russe Vitaly Churkin. La mort dans des conditions extrêmes du Guide libyen -qui n'a pas encore livré tous ses secrets- après un bombardement de l'Otan visant son convoi, suscite toujours grincements et critiques au Conseil de sécurité. En tout état de cause, les conséquences de l'intervention en Libye se font toujours lourdement sentir dans d'autres conflits. La crise syrienne se retrouve, de ce fait, de plein fouet confrontée à l'imbroglio. Les diplomates russes, chinois et indiens osent être plus explicites dans leurs positions : «pas question de voir le scénario libyen se reproduire en Syrie.» Le blocage par un double veto russe et chinois d'une résolution des pays européens condamnant la répression en Syrie reste symptomatique de la nouvelle donne induite par le précédent libyen. «Il sera désormais beaucoup plus difficile aux Occidentaux d'obtenir l'accord des Nations unies pour intervenir dans un conflit,» estiment un certains nombre de spécialistes. Même dans les cas les plus extrêmes, «les Russes et les Chinois se chargeront d'encadrer beaucoup plus sévèrement les mandats.» Le conflit libyen, avec ses conséquences toujours en cours, aura-il- changé l'Onu ? M. B.