A Jijel la méditerranéenne, capitale multimillénaire des Koutamis, le poisson est cher mais il fait toujours recette. Il égaie encore les fêtes. On ne lui fait pas sa fête mais on lui fait toujours une fête, car il est toujours moins cher qu'un filet de bœuf ou que des côtelettes d'agneau. Les Jijeliens, qui se font une fête de le fêter, à toutes les sauces, l'ont paré pour la fête, pour la cinquième année consécutive. Jijel, qui n'est pourtant pas une fêtarde, a sa «Fête du poisson» et veut désormais «l'institutionnaliser». C'est-à-dire, en faire une référence touristique, mieux, un référent culturel de la ville. A l'Hôtel Koutama, dont le nom est une référence aux profondes racines berbères de Jijel, pêcheurs, maîtres-queues, maîtresses de cuisines, pisciculteurs et fins gourmets étaient de la fête cette année. Jijel la méditerranéenne, qui fût phénicienne, carthaginoise, romaine, byzantine, fatimide, espagnole, génoise, ottomane et française, mais qui est, depuis toujours, koutamie jusqu'à l'obsession et, jusqu'à toujours, algérienne jusqu'à l'entêtement, possède une culture fish. Et si le saint tutélaire de la ville n'est pas un marabout mais un célèbre corsaire de père albanais et de mère catalane, le plat symbolique de cette culture poissonnière et de l'art culinaire jijélien, c'est le sekssou bèl'hout. Le couscous au poisson, d'orge s'il vous-plait, agrémenté de poissons de toutes les chairs, de toutes les formes et de toutes les saveurs. En ces temps où la sardine se fait désirer sur les marchés comme une sirène des temps jadis, on se damnerait pour un sekssou au mérou. Au rouget de roche, à la bonite, et pourquoi pas au chien de mer et même avec des boulettes de sardines relevées d'ail, de persil et d'épices ! Nom de Dieu, pourquoi ne se damnerait-t-on pas pour cette merveille gustative, œuvre d'art et chef-d'œuvre culturel s'il en fut ? Surtout si ce couscous, que dieu réserve en son paradis aux plus méritants des croyants, est agrémenté de patates rissolées, d'oignons préalablement frits, de tomates pelées, d'huile d'olive de Chekfa, de céleri de Taher et, naturellement, de cumin et de poivre même de Chine importés ! A Jijel, la culture fish, c'est ce couscous-là, désormais célébré à chaque «Fête du poisson». Ce sekssou bèl'hout est la preuve gourmande que Jijel est berbère et méditerranéenne. Si vous en doutez, bandes d'affamés qui n'avez jamais taquiné la daurade sur une montagne d'orge au divin fumet, sachez que les Siciliens font un cuscusu au mérou. Et que dans la petite ile sarde de San Pietro, peuplée de Tabarquins, descendants de pêcheurs de corail tunisiens, on sert le cascà, couscous aux légumes et aux poissons variés. Siciliens et Sardes, mais aussi les Tunisiens de Sousse. Ceux-là font le bérbouche aux poissons, couscous local qui vous fait sentir que vous êtes à Jijel. Comblés face à un roboratif sekssou bél'hout. Chut, fermez les yeux ! N. K.