Nos compatriotes kabyles, qui ont un sens poétique de l'allégorie, évoquent le tikkouk pour parler d'une folie passagère et indescriptible. Le tikkouk, c'est initialement le coucou, alias le cuculus canorus, sa variante grise berbère, faux cousin du faucon. Par extension de sens, l'oiseau désigne aussi une personne qui a la bougeotte. Un individu soudainement timbré, un maboul de la boule ! Il y a aussi le tikkouk politique qui semble avoir fait des ravages dans les esprits depuis que la campagne électorale des législatives ressemble chaque jour à une morne plaine. Il a surtout frappé quelques beaux esprits subitement atteints de délire paranoïaque ! On a vu un chargé de mission officiel pour les droits de l'Homme préconiser des sanctions pénales pour les abstentionnistes et autres incitateurs au boycott des élections. On a entendu le SG d'un parti, jadis unique, dire que les agents électoraux de l'abstention sont les agents actifs des ennemis de l'Algérie. Opposants malfaisants et nuisibles, apparents ou cachés qui s'activent sur tous les fronts politiques et sur tous les forums sociaux pour la déstabiliser. On a même vu le DOK, alias le ministre en charge des élections, piqué par le bec du tikkouk, menacer «de la manière la plus ferme, d'appliquer les sanctions contre toute tentative de toucher à la crédibilité du scrutin.» Morbleu, on en vient à trembler pour tous ces sacripants électoraux et pour tous ces fripons politiques qui doutent, a priori, de la sincérité du gouvernement ! Ou qui remettent en cause sa volonté d'organiser des élections sincères, les premières, dit-on, de cette grande pureté chimique depuis l'Indépendance. On ne connait pas la nature de ces sanctions mais on sait en revanche que ces délinquants politiques potentiels ne sont pas les seuls empêcheurs de voter en rond et en masse. Il y a aussi la patate ou même un gang mystérieux de la patate, devenus les premiers sergents recruteurs d'abstentionnistes, donc d'Algériens et d'Algériennes inciviques et antipatriotiques. On a eu récemment quelques indices de l'existence de cette camorra algérienne de la Solanum Tuberosum dans la bouche du président de l'Union nationale de protection des consommateurs (UNPC). Cet adversaire acharné de la mafia du féculent cher à Parmentier, a donc mis en cause des «opérateurs détenant le monopole de la pomme de terre» qui «œuvrent à perturber les prochaines élections.» Ce monsieur, qui semble avoir la patate et une solide foi patriotique, n'est pas le seul à sentir qu'il y a de la friture sur la ligne électorale, parasitée qu'elle serait par la pègre de la patate. Il y a aussi un bienheureux chef d'une certaine centrale syndicale qui, lui, veut donner des patates à ceux qui «se livrent au pillage éhontée du pouvoir d'achat» des Algériens. Ce patriote vigilant, qui a lui aussi la frite, est presque sûr que cette canaille du féculent amidonné «œuvre à perturber les prochaines élections !» Ces fortes présomptions ont, purée de plaisir, inspiré à un canard émergent sur le Web la formule malicieuse du «complot ourdi de la patate» contre l'opération électorale. Ainsi, la patate, qui s'est incrustée dans la cuisine législative, est accommodée à toutes les sauces électorales grâce au génie persifleur d'Algériens créatifs sur le Net et même sur les panneaux électoraux. Ces chefs cuisiniers, qui méritent la toque d'or de l'imagination politique, sont beaucoup aidés par des serviteurs du régime qui accordent à la patate le pouvoir subversif d'un putsch politique. Grâce à la bouffée délirante des uns et des autres, la patate s'appelle désormais Pinochet dont on redoute le pouvoir déstabilisateur ! A ce stade, rien ne prouve qu'une vermine de la patate existe. Pas plus qu'il n'est permis de douter, par anticipation, de la sincérité du pouvoir qui jure, de tous les noms et sur tous les tons, que les législatives du 10 mai 2012 sont l'alpha politique et l'oméga idéologique d'une démocratie algérienne thaumaturgique. Il est vrai que le pouvoir a raison de fulminer contre des partis microscopiques et d'autres de plus grosse taille, surtout lorsque ces prétentieux portent des barbes de vert colorées, préemptent la victoire électorale et menacent le pays d'un «printemps arabe» si les urnes contrariaient leur triomphe supposé. Mais, si sa volonté de veiller à ce que les urnes soient transparentes, probes et propres, est forte et sincère, alors il doit laisser pisser le mérinos ! A trop vouloir montrer patte blanche et crier au loup chaque fois qu'un internaute ou un parti politique doute de la régularité du prochain scrutin, le pouvoir sème lui-même le doute sur la pureté de ses intentions. Comment peut-il alors empêcher nombre de nos compatriotes, électeurs réels ou abstentionnistes potentiels de voir en lui le loup habillé en grand-mère ? Soutenir mordicus que sa sincérité relève de l'Immaculée Conception et menacer de ses foudres les critiques, revient à imposer la dictature de la démocratie imposée. Surtout que lui-même, des décennies durant, a œuvré directement et indirectement à la dévalorisation systématique de la politique. La meilleure preuve de sa bonne foi politique, c'est, aujourd'hui, de laisser dire et laisser faire, tant que les propos et les actions des sceptiques ne contreviennent pas à la loi. Et si les urnes seraient, le 10 mai, propres comme la gandoura blanche d'un imam le jour de l'Aïd, on chantera, à ce moment-là, avec lui, «tout va bien, c'est merveilleux et patati, et patata !» N. K.