Après un scrutin indécis le 6 mai, les Grecs vont tenter le 17 juin de se doter d'un gouvernement appuyé sur une majorité stable au Parlement. Le temps presse. A la fin du mois prochain, le pays doit faire face à des échéances qu'il ne pourra honorer sans l'aide internationale. Or, les bailleurs de fonds ont averti : sans gouvernement, pas de nouveaux crédits. Et pas n'importe quel gouvernement ! Une équipe qui s'engage à faire les efforts exigés pour rester dans la zone euro. C'est là que le bât blesse. Car une majorité écrasante de Grecs est en faveur du maintien de l'euro mais une majorité quasiment aussi importante est hostile aux mesures d'austérité dictées par la communauté internationale. Les électeurs l'ont dit le 6 mai. Il est probable qu'ils le répèteront le 17 juin, peut-être même en amplifiant leur refus.La situation politique grecque est, en effet, percluse de paradoxes. Le premier concerne l'attitude vis-à-vis de l'Europe. Une analyse superficielle des résultats du scrutin du 6 mai montre une poussée des partis extrémistes - gauche radicale, communistes, extrême droite - et un effondrement des grands partis traditionnels, Nouvelle démocratie et Pasok (30% des voix à eux deux contre 70% il y a trois ans). Une gauche radicale pro-européenne et pro-euro Toutefois ce parallèle est trompeur. Les «extrémistes» ne sont pas tous à mettre dans la même catégorie. L'extrême droite, représentée par le parti Aube dorée, est xénophobe et violemment anti-européenne. Les communistes orthodoxes (KKE), qui sont restés liés à Moscou jusqu'au dernier souffle de l'Union soviétique, sont aussi opposés à l'Union européenne.Mais ce n'est pas le cas de la gauche radicale qui, elle, est au contraire très pro-européenne. Syriza est une coalition qui regroupe d'anciens gauchistes, des écologistes et des ex-communistes réformateurs qui avaient rompu avec le KKE à cause de son dogmatisme.Et elle a été rejointe aux élections du 6 mai par une cohorte d'électeurs qui sont favorables à l'Europe, à l'euro mais qui critiquent les coupes claires imposées par la troïka (BCE, Commission de Bruxelles et FMI) conduisant à un appauvrissement du pays. Si l'on en croit les récents sondages, Syriza a toutes les chances de devenir le premier parti lors des prochaines élections. Etant donné le système grec qui donne une prime de cinquante députés à la formation arrivée en tête, Syriza pourrait emporter une centaine de sièges sur 300. C'est suffisant pour être le pivot du prochain gouvernement, mais pas assez pour avoir une majorité.Quand les Européens appellent les Grecs à se prononcer clairement en faveur de l'euro, comme viennent encore de le faire les responsables allemands, il y a fort à parier qu'ils seront entendus. Mais ils risquent de se retrouver avec des interlocuteurs qui veulent l'euro mais sans l'austérité.
La troïka, le clientélisme et la faillite On touche ici au deuxième paradoxe de la situation politique grecque. Les partenaires européens d'Athènes mettent volontiers en cause le système clientéliste et corrompu qui sévit depuis de nombreuses années. Le président de la Commission de Bruxelles, José Manuel Barroso, vient encore de se dire «conscient des sacrifices demandés au peuple grec» qui sont «le résultat d'erreurs politiques». Mais ces «erreurs politiques» ont été commises par les deux grands partis qui ont alterné au pouvoir depuis la chute du régime des colonels, en 1974, la Nouvelle démocratie (centre droit) et le Pasok (socialiste).Or, ce sont ces deux partis que Bruxelles (et Berlin, voire Paris) souhaiteraient voir revenir au pouvoir, si possible dans une grande coalition qui n'a jamais existé en Grèce. La raison en est simple : la Nouvelle démocratie et le Pasok ont tous les deux signé les engagements d'économie exigés par la «troïka» en contrepartie de son aide.Nouveau paradoxe : c'est sur eux aussi que la communauté internationale semble compter pour réformer un système calamiteux qu'ils ont contribué à créer et dont ils ont profité pendant près de quarante ans. Il est pour le moins illogique de souhaiter un renouvellement de la vie politique grecque et de miser sur ceux qui ont été les principaux obstacles à ce renouveau. Une autre constellation politique est-elle possible ? Il est vraisemblable qu'elle ne verra pas le jour en un seul scrutin. La réforme du système politico-social grec n'est pas seulement l'affaire d'une majorité parlementaire. C'est l'ensemble de l'Etat, de l'administration, des rapports entre les citoyens, leurs élus et la chose publique qui doit être rebâti.
«Nouvelles idées» Mais une autre majorité gouvernementale intégrant des forces nouvelles peut y contribuer. La gauche radicale apparaiît incontournable. C'est peut-être chez elle que se trouvent les éléments les plus dynamiques et les plus modernistes de la société grecque. Sans doute faudrait-il qu'elle renonce à une forme d'illusion romantico-révolutionnaire, à des mesures irréalistes, tel cet emprunt forcé pour tous les détenteurs de compte en banque supérieurs à 20 000 €, à son refus de respecter les accords passés.On rappellera, à ce propos, que le Pasok est arrivé au pouvoir en 1981, avec à sa tête Andreas Papandréou, sur un programme de rupture avec la Communauté européenne. En sous-main, Papandreou faisait préparer les négociations en vue du maintien de la Grèce dans l'Europe.C'est dire qu'après les élections du 17 juin, et si elle les gagne, la coalition Syriza devrait être mieux disposée pour des négociations avec la Commission de Bruxelles, visant non au renoncement pure et simple aux engagements de réformes et d'économies pris par le gouvernement précédent, mais à un compromis.Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances qui ne passe pas pour laxiste, s'est lui-même dit «ouvert à de nouvelles idées». Un étalement du calendrier pour la réduction des déficits publics et des programmes d'investissements permettant d'adoucir les effets sociaux de la récession pourraient être à l'ordre du jour des prochains sommets européens.Si les Européens sont convaincus que la sortie de la Grèce de la zone euro serait plus coûteuse que son maintien, et si les Grecs, dans leur immense majorité, pensent de même, une issue est possible. Ni les Grecs ni leurs partenaires n'ont intérêt à ce que la Grèce redevienne un pays balkanique, dans le sens péjoratif du terme. D. V. in Slate.fr