Ecrire, parler, briser les tabous. Autant d'outils toujours à la disposition des acteurs de la guerre de libération. Pourtant beaucoup se complaisent dans leur mutisme et ils n'en ont pas le droit. Ils ou elles ont contribué à libérer le pays du joug du colonialisme. La deuxième journée de la rencontre internationale intitulée «Algérie, 50 ans après : libérer l'histoire», organisée conjointement par le quotidien la Tribune et le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, était intitulée : «La femme d'Algérie dans les luttes et les résistances nationales. Quel genre d'histoire ?» et «Mémoire et silence sur la participation des femmes à la lutte de libération nationale». Une séance remplie d'émotion, tant il est vrai que les thèmes abordés étaient empreints de passions mais aussi de souvenirs cruels. Les communications données sur ce sujet par Mmes Zineb Ali-Benali, qui a révélé qu'elle avait raté un pan de l'histoire, et Paola Pallando de Turin sur ce sujet, ont suscité un riche débat. C'est une ancienne militante de la Fédération de France qui a soulevé un pan de cette histoire dont elle dit «qu'elle ne connaît que l'infime vérité», tandis qu'une autre moudjahida s'est insurgée sur l'absence du rôle de la femme rurale dans la guerre d'indépendance. Et c'est à Louisette Ighilahriz de prendre la parole pour dire que les femmes n'étaient pas oubliées. Elle a personnellement contacté certaines d'entre-elles pour les inviter à témoigner, comme elle l'a fait elle-même en 2001 en révélant qu'elle a été violée. Elles ont accepté dans un premier temps, de donner leur version, avant de se rétracter parce qu'elles avaient peur d'être isolées, d'autant qu'elles étaient des mères de familles et qu'elles ne pouvaient pas faire subir ce qu'elles ont vécu aussi bien à leurs époux qu'à leurs enfants. Elles étaient nombreuses à avoir été violées. Notamment les femmes rurales, comme l'a souligné Mme Zineb Ali-Benali : «Un homme avec une baïonnette à la main face à une femme, est un potentiel violeur». Beaucoup d'interventions dans ce sens ont été enregistrées hier. Un véritable hommage aux femmes algériennes qui ont bravé les interdits, faisant sienne la lutte pour la libération nationale. Elles sont montées au maquis, elles ont confectionné des galettes pour les moudjahidine, elles ont déposé des bombes. Elles ont cassé tous les tabous d'une société extrêmement conservatrice. Il faut dire que certaines familles n'ont appris le sort réservé à leurs progénitures qu'à travers les informations faisant état de leur arrestation ou de leur chute au champ d'honneur. Mais les atrocités de cette guerre n'étaient pas uniquement du côté du colon. «Les gens du FLN ont aussi torturé et il faut briser ce tabou». Marie Chominot a été plus loin en disant que des hommes ont également été torturés par les soldats français. En faisant des recherches, elle a retrouvé dans le livre d'Yves Courrière une photo de militants assis sur des bouteilles ou encore les jambes écartelées. Autant de moments d'émotion vécus hier par les participants à cette rencontre nationale. Et les véritables questions posées, notamment en marge de la rencontre, ce sont celles liées à l'absence d'ouvrages des moudjahidate pour témoigner de ce qu'elles ont vécues pour les générations actuelles, mais aussi celles à venir qui ont le droit de connaître la vérité sur cette guerre de libération. Elles ont certes contribué à la libération du pays du joug colonialiste, mais elles n'ont aucunement le droit de garder l'histoire pour elles. Les chamailleries entre moudjahidines et moudjahidates ne devraient pas constituer un obstacle pour que l'histoire soit écrite. A toutes celles et à tous ceux à qui nous avons demandé pourquoi ils ne mettaient pas noir sur blanc ce qu'ils ont vécu, ils nous rétorquent «nous avons peur de faire mal et de ressusciter des événements tragiques. Mais nous avons besoin de savoir, bonne ou mauvaise, c'est notre histoire. Car un peuple qui ne connaît pas, ne serait-ce qu'un pan de son histoire est un peuple sans identité. Aux générations post-indépendance de faire leur propre lecture de cette épopée. Celle qu'on ne leur a jamais, et on ne le fait toujours pas, enseigné dans l'école algérienne. Mais que faut-il faire pour panser les traumatismes du colonialisme et de la torture ? Une seule réponse : s'extérioriser, parler, dégager ses émotions. C'est ce qui manque le plus à l'écrasante majorité des militants de la cause nationale qui disparaissent au fur et à mesure, épuisés par l'âge mais aussi par le poids des séquelles de la torture du colonialisme français. F. A.