Le premier voile relatif aux amendements qui seront apportés à la Constitution a été levé par le premier magistrat. Dans une logique tout à fait cohérente, il est évident que M. Bouteflika est candidat à un troisième mandat, en attendant de connaître les noms de ceux qui seront dans la course pour proposer des programmes alternatifs, après avoir pris connaissance des changements à l'intérieur de la loi suprême. Dès maintenant, les contours d'une autre République commencent à se dessiner, livrés à toutes les analyses et à toutes les exégèses. A partir du seul discours prononcé par le président de la République, le 29 octobre dernier à la Cour suprême, le premier fait saillant, une sorte de rupture avec les idéologies archaïques, réactionnaires et sexistes, mérite une attention toute particulière. Durant des décennies, la femme est stigmatisée en Algérie, alors que des statistiques et des études très sérieuses démontrent que les filles réussissent dans leur cursus scolaire mieux que les garçons, que les femmes provoquent moins d'accidents sur la route, qu'elles évitent plus que les hommes l'addiction au jeu, à l'alcool, à la drogue, provoquant moins de rixes, de drames de l'enfance, etc. On a voulu l'enfermer à la maison, dans des accoutrements afghans ; tantôt on veut l'empêcher de travailler, de faire du sport (le sport féminin a largement régressé comparé aux années 70), de s'épanouir dans la vie et d'avoir sa part du bonheur. Ecartée par des pratiques d'hommes, par les préjugés dominants qui font du sexe masculin, à tort, le détenteur exclusif du savoir, de l'intelligence, la femme est la grande absente du champ politique, de la décision économique, culturelle, sportive, sociale, de la sphère diplomatique. Il est vrai qu'elle n'est pas aidée par les très rares femmes qui occupent un strapontin ou un quota tout à fait symbolique. M. Bouteflika veut provoquer un choc salutaire et créer une rupture porteuse de progrès et de la visibilité envers la moitié de la population. Une prochaine disposition de la Constitution amendée apportera une salutaire correction pour «la promotion des droits politiques de la femme et à l'élargissement de sa représentation dans les assemblées élues, à tous les niveaux». Une partie de l'opposition, c'est son droit et son rôle, considère déjà que les amendements constitutionnels n'apporteront aucun changement dans le pouvoir et pour la gouvernance d'une manière générale. A l'évidence, d'autres chantiers seront annoncés pendant la campagne et après la victoire de M. Bouteflika, car sur la liste des postulants plus ou moins déclarés, aucun ne semble être dans une situation susceptible de lui faire gagner la présidentielle. A moins que ce ne soit pour la seule beauté du geste. Les oppositions affichées à M. Bouteflika ne constitueront une alternative crédible que dans un rassemblement unitaire, avec un programme consensuel et un seul homme ou une seule femme qui défende ledit programme comme candidat opposable à celui du pouvoir. Mais cette hypothèse semble rester virtuelle pour longtemps. Parallèlement, une fois réélu, M. Bouteflika verra se lever et éventuellement se structurer des groupes de pression dont certains occupent déjà le terrain. Leur première cible annoncée est, bien entendu, la femme et les quotas annoncés par le président de la République. Leur stratégie évidente sera d'invalider la réforme en question en empêchant sa concrétisation sur le terrain, dans l'Algérie profonde. Une des ripostes possibles à ce qui s'apparenterait à du sabotage a été évoquée dans le discours du chef de l'Etat du 29 octobre dernier. Il s'agit d'une clarification plus prononcée de chaque pouvoir et l'application des décisions de justice, à la lumière des droits de l'Homme. Le respect de la loi par tous sera un axe stratégique dont dépendra la qualité du troisième mandat. Un policier et un juge qui interrogent un «mangeur de Ramadhan» violent la Constitution et doivent être sanctionnés par chaque hiérarchie. Tout comme un livre ne peut être ni interdit à l'impression ni censuré en dehors des prétoires. Le lobby disparate qui se moque de la loi, qui sublime l'arbitraire et l'imprimatur ne désarmera après un discours, fût-il du premier magistrat. Il faudra lui opposer un front national consensuel, transpartisan. Ce sera sûrement le plus grand défi du prochain mandat. A. B.