Sur le podium, il y aura presque à coup sûr la Chine, la Russie, et les Etats-Unis. Mais aussi, peut-être, la Grande-Bretagne. Et, pas loin derrière, l'Australie et ses seulement 22 millions d'habitants. Bref, le classement des nations aux prochains Jeux olympiques de Londres ne s'expliquera qu'en partie par la démographie. A ce seul critère, du reste, l'Inde, l'Indonésie et le Brésil seraient des réservoirs à médailles, tandis que la Jamaïque, Cuba ou la Norvège devraient repartir sans breloque. Ce qui n'est guère la réalité.Car de toute évidence, quelques pays arrivent mieux à «fabriquer» des champions que d'autres. Certains, bien entendu, n'y vont pas par quatre chemins : comme dans l'ex-Union soviétique, ils sélectionnent les plus grands -ou, selon le sport, les plus petits, les plus véloces, les plus résistants ou les plus souples-, et les parquent dans des centres d'entraînement dès leur prime jeunesse. En pariant qu'au terme d'une sélection impitoyable, ils finiront par obtenir une brochette de champions.Et tant pis si ces derniers ont, au passage, sacrifié leur vie familiale et sociale, voire leur santé. Ou même s'ils n'éprouvent aucun goût particulier pour la discipline. «J'ai rencontré des basketteuses chinoises qui n'avaient aucune envie de jouer au basket», racontait ainsi Bernard Grosgeorges, ancien entraîneur national au sein de la Fédération française de basketball lors des récents «entretiens de l'Insep», consacré au thème «accompagner les potentiels émergents».Peut-être le tableau est-il un peu forcé. Et bien heureusement, tous les pays médaillés ne tombent pas dans ces excès, loin s'en faut. Mais certains semblent avoir un don particulier pour détecter les talents. La tâche, pourtant, est bien compliquée, comme en témoignaient les experts français et étrangers présents lors des débats organisés par l'Insep. Il n'y a pas que le physique Faut-il se fier aux caractéristiques morphologiques des potentiels futurs champions ? Et sélectionner les athlètes -voire les enfants- selon leur taille, leur poids, leur capacité respiratoire ?Bien des sports ont ainsi mené des campagnes pour recruter des «grands gabarits», denrée précieuse au basket, bien entendu, mais aussi au handball ou encore à l'aviron. Pourtant cela ne suffit pas: selon Winfried Joch, professeur à l'Institut des sciences du sport de l'Université de Münster en Allemagne, les caractéristiques morphologiques ont une valeur prédictive très faible, de l'ordre de 10%. D'autant que l'on confond souvent la cause et le résultat. Dans le domaine du ski alpin par exemple, les champions ont souvent un poids, une taille et une IMC (indice de masse corporelle) supérieur à la moyenne des athlètes. «Tout simplement parce que l'on a écarté les gringalets et que le poids et la taille déterminent l'orientation dans une discipline», explique Nicolas Coulmy, chef du département recherche à la Fédération française de ski, qui poursuit : «Beaucoup par exemple sont persuadés que plus on est lourd, plus vite on descend une piste. Or c'est faux, affirme-t-il, en montrant pour preuve une vidéo d'un astronaute sur la lune lançant au sol simultanément une plume et un marteau. Tous deux l'atteignent en même temps, vérifiant ainsi les thèses de Galilée» [1]. Les problèmes de la sélection chez les benjamins De la même façon, sélectionner les très jeunes sportifs en fonction de leurs résultats aux compétitions favorise presque toujours les natifs... du premier semestre! Normal car les catégories sportives -poussins, benjamins, minimes, cadets- sont calquées sur l'année scolaire.Du coup, certains, nés en janvier, peuvent concourir comme benjamins jusqu'à 12 ans et demi, tandis que d'autres, nés en décembre, deviendront minimes dès après leurs 11 ans et demi... «Le phénomène était extrêmement flagrant en tennis», reconnaît ainsi Dominique Pouey, responsable des juniors à la Fédération française de tennis.La fédération, du coup, a commencé à organiser des compétitions à «âge réel» pour gommer ce biais. Pour briller au handball, mieux vaut de la même façon être né une année paire. «Les sportifs nés les années impaires sont désavantagés -et ne représentent d'ailleurs que 20% des sélectionnés- car ils arrivent avec un an d'entraînement à haut niveau de moins lors de leurs premières grandes compétitions internationales», constate ainsi Sylvain Nouet, à la Fédération française de handball, qui a mis en place une «pouponnière» pour tenter de compenser ce déficit en compétition. Recruter tôt n'est pas toujours non plus un gage de réussite, tous les champions ne sont pas des Mozart qui, dès leur tendre enfance, éblouissent leurs entraîneurs. Et inversement, la réussite précoce ne présage pas forcément d'un succès à l'âge mûr.
Maturité tardive «Nous avions fait une statistique sur une classe de 90 enfants détectés à 12 ans: seuls 7 avaient plus tard intégré le classement mondial», raconte Dominique Pouey. Un constat confirmé par Winfried Joch en Allemagne :«Sur 48 jeunes athlètes sélectionnés sur les listes des sportifs de haut niveau, seulement 8 étaient encore actifs après 10 ans, et n'obtenaient guère des résultats probants». «A l'inverse, notre meilleur champion, Adrien Mattenet, est complètement passé à travers les mailles de la filière fédérale», reconnaît Christian Marnas Martin, responsable national du parcours d'excellence sportive masculine au sein de la Fédération française de tennis de table.Si les gymnastes sont toujours très jeunes, certains sports sont «à maturité tardive» comme l'aviron, voire le tennis de table. «En Asie, les champions ont 17-18 ans, mais chez nous, ils affichent plutôt 23-24 ans», explique Christian Marnas Martin.
Multisports Certains champions font ainsi un malheur dans une discipline dans laquelle ils viennent, pourtant, tout juste de débarquer. Telle Audrey Tcheuméo, Championne du monde de judo, qui n'a foulé son premier tatami qu'à 14 ans. Quatre ans plus tard, elle atteignait l'élite mondiale de sa catégorie... Ou Myriam Soumaré, Championne d'Europe du 200 mètres et qui n'a chaussé ses premières pointes qu'à 18 ans...Certains pays semblent désormais penser qu'il faut peut-être inciter les enfants à multiplier les expériences sportives avant de les spécialiser au lieu de les contraindre dès 14, 12, 10 voire 8 ans à passer des dizaines d'heures hebdomadaires dans un seul sport. C'est ainsi que plusieurs provinces japonaises, après avoir organisé des campagnes détection dans des écoles, leur ont fait changer de sport régulièrement.Le constat n'étonne pas Alain Bouchaux, musicien concertiste et professeur au conservatoire supérieur de Paris et qui intervenait dans ces entretiens sportifs: «La plupart des enfants très doués pratiquent plusieurs instruments.»
Combinaison de facteurs D'une part parce qu'ils sont doués, mais aussi parce que l'apprentissage d'un instrument simplifie le passage à un autre. Pourquoi en irait-il autrement en sport ?En Australie, ou au Royaume-Uni, on n'hésite d'ailleurs plus à débaucher des sportifs pour les inciter à embrasser une discipline dans laquelle le pays aimerait décrocher une médaille.Bref, estime Winfried Joch, c'est la combinaison de différents facteurs -les qualités physiques, l'intensité de l'entraînement, les caractéristiques psychologiques, intellectuelles, l'accompagnement familial, social- qui fabrique un champion. Déterminer leur poids respectifs, mais aussi la façon dont ils interagissent est donc plus important que de tester les athlètes sur un seul point.La détection des talents, du reste, ne constitue qu'une première étape: car, conclut Winfried Joch, «la route pour ensuite les conduire au plus haut niveau mondial est tout sauf linéaire.» C. B. In slate.fr