Après les maintes et vaines protestations de l'Union générale des commerçants (Ugcaa), c'est au tour des citoyens de se plaindre énergiquement des innombrables nuisances des circuits du commerce informel qui infestent le moindre espace public. Depuis la fin des années 1980, les autorités tolèrent le «trabendo» pour, soi-disant, permettre aux jeunes désœuvrés de se faire un peu d'argent de poche. Au fil du temps et du laisser-aller, ce secteur parallèle s'est constitué de puissants réseaux qui font aujourd'hui la pluie et le beau temps. On y vend de tout. Ça va des produits agricoles au prêt-à-porter, en passant par le tabac, les cosmétiques, les fournitures scolaires et l'électroménager. Un véritable souk dans le marché. Selon les chiffres officiels, ce marché noir, qui squatte au grand jour les trottoirs, les placettes et les espaces adjacents aux cités résidentielles, représente 20 à 30% du marché national. Il est hiérarchisé en plusieurs strates, communicant à travers des relais bien huilés. Ça va du petit revendeur à la sauvette, qui vous propose des pétards dans un coin de rue, aux gros bonnets qui importent frauduleusement des containers de produits contrefaits. Il y a aussi le contrebandier qui troque des bidons d'essence bon marché à la frontière contre des cartouches de cigarettes contrefaites ou des liqueurs frelatées. On trouve également le contrefacteur qui maquille de la pacotille en produit de grande marque. Pour refiler leur camelote au consommateur, tous ces crocodiles exploitent l'oisiveté des jeunes chômeurs qui improvisent des étals partout. Ce repaire ostentatoire de la grosse pègre, qui génère des milliards de dollars d'argent sale, constitue une grande menace à l'ordre public. La sécurité du consommateur est sérieusement mise en danger. La quiétude des riverains et l'intégrité physique des passants sont aussi quotidiennement malmenées dans ces foires d'empoigne où pullulent pickpockets et receleurs de tout poil. Il est, en toute chose, contraire à la loi et, de par son omniprésence, jette le discrédit sur toutes les institutions de l'Etat. La crise multidimensionnelle des années 1990, pour des raisons que tout le monde connaît, a grandement contribué à la généralisation de ces pratiques frauduleuses qui sapent en profondeur l'économie réelle. En effet, le trabendo constitue un obstacle à l'investissement productif et à la croissance économique hors hydrocarbures. La concurrence déloyale, qu'il exerce au nez et à la barbe des autorités de régulation, déréglemente ouvertement tous les rouages de la sphère économique. En investissant la rue pour dénoncer ce marché aux puces qui s'étire dans tous les sens, les résidents de Bachdjarah (Alger) expriment un profond malaise que tous les Algériens connaissent très bien : tapage nocturne, bagarres, obscénités à longueur de journées, vols et débauche. D'après l'Ugcaa, qui estime le nombre de personnes versées dans le marché noir à près 1,5 million, plus de la moitié du chiffre d'affaires des activités commerciales échappe ainsi au Trésor public. La mafia, pour ne pas la nommer, se lance désormais dans les services. Contrairement aux apparences, c'est encore la pègre qui tire les ficelles dans les parkings sauvages qui poussent à tous les coins de rues, le squat des plages et des sites touristiques, l'achat et la vente de devises. Pour toutes ces raisons, l'éradication du commerce informel constitue aujourd'hui une priorité pour l'instauration d'un véritable Etat de droit. Les autorités doivent impérativement prendre le taureau par les cornes pour mettre de l'ordre dans ce foutoir. Dans son approche pour résorber le commerce anarchique et informel, l'Etat se doit d'agir efficacement à la base. Evidemment, une simple descente de police ne suffirait pas. Il s'agit d'insérer socialement le maillon le plus faible de la chaîne pour tirer le tapis sous les pieds des gros barons. Il faut «caser» le camelot qui fait prospérer le bazar. Maintenant que les citoyens expriment franchement leur ras-le-bol, il serait moins contraignant de convaincre toutes les parties pour œuvrer de concert dans ce sens. Le plus tôt serait le mieux. K. A.