La Chancelière s'est ralliée aux partisans de la «théorie des dominos»: si la Grèce sort de l'euro, ce sera ensuite le tour de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie… En moins d'une semaine, l'Allemagne a dit deux fois «oui» au sauvetage de la zone euro dans des formes qu'elle avait refusées pendant des mois, voire des années, depuis le début de la crise en 2008.C'est d'abord la Banque centrale européenne (BCE) qui, par la voix de son président Mario Draghi, a annoncé qu'elle était disposée à acheter des titres des pays européens en difficulté. Le président de la Bundesbank a, certes, voté contre mais Mario Draghi n'aurait pas pu prendre une telle décision sans l'approbation discrète d'Angela Merkel.Jusqu'alors, la chancelière avait refusé une telle possibilité, contraire à l'orthodoxie monétaire allemande, car elle revient à créer des euros pour faire face à la crise de liquidités des pays les plus endettés. Cet achat de bons du Trésor (italiens ou espagnols, voire grecs) ne se fera pas sans conditions, mais la BCE rejoint, là, une pratique de la Banque centrale d'Angleterre ou de la Réserve fédérale américaine, qui était un tabou en Europe.Le deuxième «oui» allemand concerne le Mécanisme européen de stabilité (MES), décidé au début de l'année par les chefs d'Etat et de gouvernement des 17 pays de la zone euro. Il a été prononcé, mercredi 12 septembre, par le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe. La haute juridiction avait été saisie par des eurosceptiques qui contestaient la conformité de ce mécanisme, pour lequel l'Allemagne est engagée à niveau de 180 milliards d'euros, avec la Constitution.
Plainte rejetée Leur plainte a été rejetée, comme l'avaient été auparavant les plaintes contre le traité de Maastricht en 1993, contre le traité de Lisbonne en 2009 et contre le Fonds européen de stabilisation, l'année dernière. Les commentateurs se disputent sur l'interprétation de la décision des juges de Karlsruhe. Ceux-ci répètent en effet à chaque fois la même argumentation: ces accords européens touchent aux limites de ce qui est autorisé par la Loi fondamentale allemande. Il ne faut donc pas aller plus loin sans légitimation démocratique par le peuple allemand, sous une forme que le tribunal laisse dans le vague, et tout dépassement des textes adoptés doit avoir l'assentiment du Parlement allemand.Dans leur décision sur le MES, les juges de Karlsruhe reconnaissent que la gestion de la crise de la zone euro n'est pas une affaire juridique mais qu'elle est l'affaire des responsables politiques. Certains observateurs en tirent la conclusion que le tribunal constitutionnel a abdiqué tout pouvoir sur les développements ultérieurs de l'intégration européenne. D'autres, au contraire, relèvent qu'il s'est réservé la possibilité d'intervenir dans la mesure où les attendus de leur jugement sont contradictoires. Sur le fond, ils donnent l'impression de valider les arguments des plaignants eurosceptiques tout en autorisant la ratification des accords passés.
L'Allemagne choisit de ne pas s'isoler Les mêmes considèrent que la BCE, indépendante certes du pouvoir politique, n'est pas au-dessus du droit, qu'elle a violé ses statuts en rachetant des dettes souveraines et donc que la Cour européenne de justice serait dans son rôle en interdisant cette pratique. La bataille juridique n'est donc pas terminée.En attendant, la bataille politique a été gagnée par les partisans d'un effort supplémentaire pour sauver la zone euro. Angela Merkel s'est ralliée aux partisans de la «théorie des dominos»: si la Grèce sort de l'euro, ce sera ensuite le tour de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie… Les dégâts pour l'économie allemande, dont les excédents commerciaux proviennent essentiellement de ses partenaires européens, seraient incalculables. Et le coût pour le contribuable allemand très largement supérieur aux quelques milliards d'euros qu'il faut débourser pour maintenir la Grèce à flots.Une mutualisation des dettes, honnie par les Allemands, serait indispensable, sous une forme ou sous une autre. Le choix pour l'économie de la zone euro serait difficile à évaluer mais la chancelière craint une réaction en chaîne, comme après la faillite de Lehman Brothers qui a coûté plusieurs points de PIB à l'Allemagne.L'arrivée au pouvoir de François Hollande a scellé une sorte de front des pays du Sud, avec les gouvernements conservateurs de Madrid et de Rome, qui menaçait d'isoler l'Allemagne parmi les «grands» pays de la zone euro.
Des élections à gagner De plus, si une tempête économico-politique se produisait à la suite d'une défaillance de la Grèce et d'autres, ce serait au plus mauvais moment pour Angela Merkel, en pleine campagne électorale pour le renouvellement du Bundestag, en septembre 2013. Le gouvernement de Berlin et les députés qui le soutiennent dans sa politique européenne, y compris une partie de l'opposition, sont largement coupés de l'opinion allemande qui est à près de 75% en faveur d'une sortie de la Grèce de la zone euro, comme s'il suffisait de couper un membre malade pour éviter la gangrène de tout le corps.Mais la chancelière fait le pari que sa popularité personnelle, bien supérieure à celle de son parti et surtout à celle de ses concurrents potentiels dans la Parti social-démocrate, lui permettra de surmonter cette contradiction et d'emporter le scrutin de septembre 2013.Pendant quatre ans, elle s'est arc-boutée sur les principes pour refuser que l'Union européenne devienne une «union de transferts financiers». Au nom du pragmatisme, elle accepte aujourd'hui quelques entorses au dogmatisme. D.V. In slate.fr