Barack Obama a peut-être été mis en difficulté lors de son dernier débat économique avec son concurrent, Mitt Romney. Mais le président sortant a pourtant toutes les chances de l'emporter lors de l'élection du 6 novembre. Comme toujours, l'économie est au cœur de la campagne. Or, il semble que les mesures de relance massive de la Fed commencent à porter leurs fruits sur l'emploi. L'analyse de l'historien Harold James, de l'Université de Princeton explique cette tendance.James Carville, le stratégiste en chef de la campagne électorale de Bill Clinton en 1992, a exprimé un principe fermement établi d'initié concernant la manière de gagner les élections au moyen d'une formule désormais célèbre : «C'est l'économie, idiot !». Les candidats gagnent les élections si les perspectives économiques semblent bonnes et sont vulnérables -comme l'était George H. W. Bush- lorsque les temps sont difficiles. En fait, dans l'ensemble de l'Europe, en France, en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne et au Royaume-Uni, les gouvernements ont perdu leur mandat face à une crise qu'ils semblaient incapables de gérer.Selon ce critère, le président Barack Obama devrait être aujourd'hui dans une situation désespérée. D'après le Bureau du recensement des Etats-Unis, les revenus des ménages ont reculé pour la quatrième année consécutive en 2011. Le chômage reste élevé malgré le plan de relance de 787 milliards de dollars de 2009 et les prix de l'immobilier qui se rétablit peu à peu sont très en dessous de leur niveau record d'avant 2008. Il semble pourtant qu'Obama sera réélu en novembre. L'une des raisons est qu'il n'existe aucune manière fiable de juger instantanément de l'efficacité de mesures économiques et que la situation dont a hérité Obama - prenant ses fonctions en pleine tourmente sociale et économique - a clairement son importance. Le président américain, George W. Bush, et le Premier ministre britannique, Gordon Brown, sont bien évidemment plus responsables de la crise financière que ne le sont leurs successeurs qui doivent réparer les pots cassés.On peut aussi penser à la réponse mémorable de Zhou Enlai à Henry Kissinger, lorsque celui-ci lui demandait ce qu'il pensait de la Révolution française, «Il est trop tôt pour le dire »... bien qu'il semble en fait que Zhou pensait que le diplomate américain lui demandait quelles étaient les conséquences de la révolte estudiantine de mai 1968 à Paris. Suivre les conséquences précises de mesures politiques ou de réformes institutionnelles - et estimer quand elles pourraient produire des dividendes - est terriblement complexe. Tant d'autres événements interviennent. Obama ne pouvait pas savoir qu'une crise en Europe aurait de telles répercussions sur les banques américaines et il n'aurait pas pu faire grand-chose de plus pour inciter les dirigeants européens à résoudre leurs problèmes.Le succès à long terme de l'économie, et sa capacité à produire de la richesse et de l'emploi, dépend des gains de productivité, qui dépendent à leur tour des innovations techniques et organisationnelles. Les gouvernements ne peuvent créer une telle situation par un coup de baguette magique. Mais les gouvernements peuvent influer sur le développement de la productivité. C'est à ce stade que débutent les vrais débats, en tenant compte du fait qu'une action immédiate pour sauver l'emploi n'est pas nécessairement une solution. Un mauvais plan de relance peut s'avérer être un obstacle à la croissance future de la productivité en canalisant les salariés vers le mauvais genre d'emplois (et en les bloquant dans ce emploi). Des projets publics à grande échelle, en particulier ceux qui ont pour objectif de faire renouer le plus grand nombre avec un emploi, peuvent conduire à une pénurie de main-d'œuvre pour emploi plus productif..Dans les années 1930, certains gouvernements ont tenté de se rendre populaires au moyen de grands travaux publics. John Maynard Keynes et ses disciples ont défendu l'idée que des projets apparemment inutiles, comme la construction des pyramides dans l'ancienne Egypte, avaient en fin de compte leur utilité. La disciple de Keynes à Cambridge, Joan Robinson, était préoccupée par le fait que Hitler semblait avoir saisi ce point plus rapidement que les gouvernements démocratiques. Son commentaire sarcastique avait été que Hitler avait résolu les problèmes de l'Allemagne «en peignant en blanc la Forêt Noire et en posant du linoléum le long du corridor de Dantzig».L'augmentation des dépenses qui, du point de vue des Keynésiens, donne un coup de fouet à la demande agrégée, a en fait produit des distorsions. Sous Hitler, l'économie allemande des années 1930 s'est transformée pour adopter un mécanisme de plus faible productivité de façon à produire des armements et des biens de piètre qualité qui, ni l'un ni l'autre, n'auraient trouvé leur place dans une économie de marché. Cette allocation fallacieuse des ressources n'a pas représenté une menace uniquement durant l'entre-deux-guerres mondiales. En Espagne, le boom de la construction dans l'immobilier a fait autant de mal que le chômage subséquent, parce qu'il a encouragé une génération de jeunes à occuper des emplois bien rémunérés et peu qualifiés dans l'industrie du bâtiment.Mais permettre à la crise de durer est une option indéfendable. Une période prolongée de chômage à grande échelle est dévastatrice parce qu'elle érode la base de compétences de l'économie, sape le potentiel humain et insulte la dignité humaine.Les politiques gouvernementales doivent donc subir un test à plus long terme : à quel point les compétences sont-elles développées et les initiatives mises en œuvre efficacement ? Mais la réponse à cette question n'est pas la raison pour laquelle les analystes applaudissent Obama. Ils applaudissent parce que les marchés financiers applaudissent, à la suite de la récente annonce par la Réserve fédérale américaine (Fed) de nouvelles mesures de relance. Bien que les données sur le rôle des plans de relance pour relancer l'activité et les investissements soient inégales, leur effet sur les marchés financiers et le prix des actifs est aisément documenté. Les prix des actifs créent un effet de richesse qui détermine la manière dont les gens perçoivent leur prospérité, réelle ou non. Compte tenu du nombre important d'Américains suivant la performance mensuelle de leur fonds de pension privé, la seule statistique économique qui compte est le fait que l'indice Standard & Poor 500 a retrouvé son niveau d'avant 2008. Le concept donnant la prépondérance à l'économie dans le jeu électoral a donc été subtilement reformulé. Ce n'est plus l'état réel de l'économie qui compte, mais la perception qu'en ont les marchés financiers. Et cette perception peut être bien éloignée de la réalité, avec pour conséquence que plus la pensée politique accorde une importance électorale, décisive à l'économie, plus grande est la tentation de percevoir comme essentiel l'impact de la politique monétaire sur le prix des actifs, au détriment de son impact sur la croissance à long terme.La Réserve fédérale américaine deviendra sans doute plus politisée en conséquence. Les Républicains imputeront leur défaite en novembre aux mesures de relance de la Fed (ou à l'inefficacité de la campagne électorale de Mitt Romney, parsemée de gaffes retentissantes).En Europe, plusieurs chefs d'Etat, voyant l'exemple d'Obama et de la Fed, pourraient en conclure qu'ils s'en sortiraient mieux en exerçant un contrôle plus direct sur la Banque centrale européenne. Mais compte tenu de la difficulté à établir un tel contrôle sur la BCE, le prochain grand défi posé à l'euro pourrait être un sentiment croissant en faveur du retour aux monnaies nationales. H. J. * Harold James enseigne l'histoire et les relations internationales à l'université de Princeton, et est professeur d'histoire à l'Institut universitaire européen de Florence. Son dernier ouvrage est Krupp : A History of the Legendary German Firm (Krupp : une histoire de la légendaire firme allemande - ndlr). Copyright: Project Syndicate, 2012 In La Tribune.fr