Les anciens condamnés à mort, par la voix de leur association, montent au créneau en dénonçant les «contrevérités» que comporte le film Zabana, et leur marginalisation par les producteurs du long métrage retraçant certaines grandes étapes du combat du chahid Ahmed Zehana, dit Zabana, le premier guillotiné de la Guerre de libération nationale. Les membres de l'association ont appelé à l'intervention du président de la République en vue de «refaire» le film et rétablir «la dimension réelle» du martyr et de ses compagnons. Le président de l'association, Mustapha Boudina, lui aussi ancien condamné à mort, accompagné d'anciens codétenus de la prison Serkadji, a tenu, hier à Alger, une conférence de presse pour s'élever contre «le tort» fait au martyr Zabana mais aussi à Abdelkader Ferradj et aux 217 autres guillotinés en ce jour funeste du 19 juin 1956. «En tant que président de l'Association nationale des anciens condamnés à mort, je me suis invité à la salle El Mouggar (Ndlr, salle ayant abrité l'avant-première, nationale et mondiale du film, le 30 août dernier), pour assister à la première projection du film sur notre frère et héros Zabana, affirme, d'entrée, M. Boudina. Or, à notre grand étonnement, les frères, anciens condamnés à mort qui ont séjourné à Serkadji et qui résident à Alger, n'ont pas été invités. Pourtant, nous sommes les premiers concernés et les premiers intéressés par ces douloureux évènements». M. Boudina accuse l'auteur du scénario et le réalisateur de ne pas avoir cru devoir se rapprocher des anciens condamnés à mort et de leur association «ni avant, ni après la réalisation du film». «Notre collaboration aurait pu leur éviter certaines erreurs, certaines omissions et lacunes et, avant tout, une injustice flagrante», poursuit le conférencier. Parmi les «lacunes» relevées par l'association, l'itinéraire du militant et combattant Zabana «trop court et traité superficiellement», «la mauvaise présentation de l'attaque du garde forestier. Celle-ci n'est pas présentée comme une action punitive contre un oppresseur qui sévissait, sans pitié contre les populations». Le film a aussi «trop privilégié les sorties en promenade, au lieu de montrer notre héros dans la solitude de sa cellule, les souffrances morales et la lutte contre la mort. La cellule du condamné est déjà l'antichambre de la mort», témoigne Mustapha Boudina. Des séquences du film ont été remises en cause. Comme celle montrant le tortionnaire Maurice Meissonnier hésitant devant la réquisition de guillotiner les condamnés politiques. «Elle est fausse. Au contraire, il était enchanté de devoir couper les têtes des condamnés politiques autrement plus rémunérées que les exécutions des condamnés de droit commun. Notre association détient le carnet de bord de Fernand Meissonnier fils, lui également parti sur les pas de son bourreau de père. Il y mentionne les sommes encaissées pour chaque guillotiné.» Pour M. Boudina et les anciens condamnés à mort «la crédibilité de ce film (nous) impose l'honnêteté intellectuelle de dire la vérité au sujet du couperet qui ne s'est arrêté qu'une seule fois et non deux ou trois comme certains persistent à l'affirmer».
Réhabiliter les vrais acteurs de la guerre L'exécution de Zabana a été une «décision des plus hautes autorités françaises», tient à préciser M. Boudina, «donc, les séquences montrant les autorités locales se concertant pour finir par ordonner de continuer l'exécution est fausse, d'autant qu'elles disculpent les hauts responsables juridiquement responsables». Dans le réquisitoire de l'Association des anciens condamnés à mort figure une lourde critique contre les pouvoirs publics accusés d'«associer systématiquement la date du 19 juin à l'exécution d'Ahmed Zabana, en omettant de mentionner le nom de Ferradj Abdelkader, lui aussi passé à l'échafaud quelques minutes après». Dans le même sillage, Mustapha Boudina dénonce l'indifférence, voire le mépris à l'égard des moudjahidine, témoins vivants des tortures et des sévices du colonialisme, particulièrement ceux qui ont choisi d'en parler dans leurs écrits. Il cite son cas, lui qui a publié un livre intitulé Les Rescapés de la guillotine : «Je l'ai diffusé par mes propres moyens, à travers les wilayas. Aucun organisme de l'Etat ne m'a aidé. Ce livre est le seul à dénoncer les tortures dans leurs plus douloureuses séquences, après ‘'La Question'' d'Henri Alleg.» Le livre, d'après son auteur, a connu un écho retentissant en France où il a été diffusé sur plusieurs chaînes de TV et radios. Le ministre de la Communication actuel (Belaïd Mohand Oussaïd, Ndlr), a estimé qu'il devait être adapté au cinéma. Après avoir refusé trois offres de réalisateurs français, l'auteur leur a préféré un Algérien du nom de Lebsir. Une fois le contrat signé, le scénario est déposé début 2012 devant les autorités compétentes. Le scénario est rejeté pour un motif «contestable». Avant de conclure, Boudina suggère de libérer le monde cinématographique, nationale. «Nous nous sommes sacrifiés pour la libération de notre pays, et nous avons le droit aujourd'hui à une petite place dans ce monde du cinéma qui est encore sous monopole», souligne M. Boudina. Enfin, il interpelle le Premier ministre sur la «situation sociale déplorable des anciens condamnés à mort, broyés par le temps et oublié de l'Etat», lui demandant de trouver toits et emplois à leurs enfants.