Les Algériens aiment les histoires pas l'Histoire, pourrions-nous dire. On préfère lire des témoignages parce qu'ils sont le fait de personnes censées avoir vécu ou participé à l'événement. Et même s'ils sont mal écrit, même si on pense que leurs auteurs pourraient se mousser et se faire valoir plus que de raison, ils restent autant de sources pour qui veut connaître des vérités historiques, sinon il y aura toujours quelqu'un pour démentir et rétablir la vérité. N'est-ce pas là la démarche de l'historien, avec toutefois une approche plus scientifique, autrement dit organisée et critique ? Quand le simple lecteur prend le témoignage tel qu'il lui est livré et attend le démenti, le rectificatif ou le complément, l'historien, lui, prend le témoignage et va à la quête de démentis, rectificatifs, compléments et d'autres témoignages pour confirmer et recouper ce qu'il a déjà. L'Histoire est faite d'histoires, qu'il s'agira pour l'historien de recueillir, recouper et synthétiser. Pour la énième fois, le ministère des Moudjahidine joue au chercheur et appelle tous ceux qui auraient un témoignage à livrer à le faire. Mieux, le ministre des Moudjahidine, Mohamed-Cherif Abbas, a même lancé, lundi dernier à Khenchela, officiellement le coup d'envoi d'une opération de recueil de témoignages sur la révolution. L'écriture de l'histoire de la Guerre de libération nationale, à un moment où l'Algérie célèbre le Cinquantenaire de son indépendance, doit se fonder sur «les témoignages vivants de tous ceux qui, dans toute l'Algérie, ont vécu la Révolution, qu'ils soient moudjahidine ou simples citoyens», affirmera le ministre qui ira jusqu'à reconnaître que ce qui a été écrit ou filmé jusque-là sur le sujet reste en deçà de ce qu'a connu l'Algérie avant et durant la Guerre de libération. «Tous ces écrits, documentaires, films ou autres ne reflètent, en fait, que certaines parties de la glorieuse révolution», dira-t-il, ce qui veut dire que la tâche «est loin d'avoir été accomplie», ajoutera-t-il. Aussi, invitera-t-il «tous ceux qui détiennent des témoignages vivants sur la révolution libératrice, particulièrement sur la période 1954-1956, à se présenter au Centre d'études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 où le ministère des Moudjahiddine assurera leur prise en charge». En image, le ministre propose de tirer le piano vers le tabouret. Au lieu de se donner toutes les garanties de réussite de l'opération en instruisant les chercheurs de ce centre, dont la production est aussi riche qu'une terre aride, pour qu'ils sortent de leur cocon et qu'ils aillent recueillir ces témoignages, c'est aux vieux maquisards et militants qu'il demande de se déplacer, sachant que beaucoup ne le feront pas parce qu'ils ne le peuvent pas. D'autres, par contre, refuseront parce qu'ils ne font pas confiance ni au ministère ni à son centre. «Combien de fois a-t-on lancé des opérations de recueil de témoignages du même genre ? Et qu'en est-il sorti ?», nous a demandé un ancien moudjahid. Il est vrai que depuis sa création, s'il avait fait son travail, le Centre d'études et de recherches sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 serait devenue une référence pour les historiens, les chercheurs et les simples citoyens qui voudraient en savoir plus sur l'histoire de leur pays. Tel n'est pas le cas. Le ministre le reconnaîtra en partie en déclarant que l'écriture de l'histoire de la Révolution «n'est en aucune manière l'apanage du seul ministère des Moudjahidine» - en fait, elle ne l'est pas du tout- et invitera historiens, journalistes, enseignants et institutions à participer à cet effort. Hormis les premiers cités, les autres sont à mettre dans la même case que le ministère, et ce serait bien qu'on s'en rende compte le plus vite, si on veut que notre Histoire ne soit pas toujours un fourre-tout d'histoires. H. G.