Fellag, c'est connu, c'est toujours le pitre contre le pire. Pour nous enconvaincre encore nous-mêmes et vous en convaincre davantage, on est allés le voir à Paris, au Théâtre champ-élyséen du Rond-Point. Il y a joué, comme il l'a fait depuis plus d'un an à travers la France, un chef doublement toqué qui cuisine des «Petits chocs de civilisation».Un marmiton du one-man-show qui mitonne un couscous culturel, préparé pour faire entrechoquer et interagir culture française et culture algérienne. Bouillon de cultures fait d'une addition de grains de semoule, de légumes variés, d'épices chaudes et de viande en sauce. Le tout, émulsionné pour mieux concilier saucisses et merguez. France et Algérie. Islam craint et Chrétienté craintive, l'amour et la haine, xénophiles français et xénophobes gaulois. Après le mémorable «Tous les Algériens sont des mécaniciens», joué par une doublette artistique en fusion sur les planches, Mohamed Fellag est revenu seul au théâtre. Avec sa toque de chef cuisinier de l'humour franco-algérien épicé, il assaisonne de truculence et de gentille férocité, travers de porcs gaulois et côtelettes de mouton halal ; bien aidé, il est vrai, par la subtile mise en scène de la discrète Marianne Epin, qui a mis son sel de Guérande pour relever la sauce du couscous ; ça vous donne alors un opus mitonné aux petits oignons. D'habitude, Fellag portait un regard sans concession sur les travers de la société algérienne. Cette fois-ci, il franchit un cap en scrutant, avec une douce méchanceté, la méfiance, la défiance, les peurs xénophobes mais, aussi, le dépit amoureux des Français. Et, comme pour les siens, les armes utilisées sont les mêmes : dérision subversive et humour corrosif. Et ça part dans tous les sens pour faire sens. Pour mieux expliquer pourquoi c'est ton rejet de Français pour le mien d'Algérien, ta souffrance pour la mienne et ta peur qui vaut bien la mienne ou qui l'explique ! Après un prélude où il rappelle ses premiers pas en France au moment de l'attentat du RER parisien de Saint-Michel, Fellag prépare en direct son couscous. La semoule adoucie par la vapeur est un prétexte à des variations sur les thèmes de l'immigration maghrébine, le Ramadhan, l'épicier arabe du coin, le visa, le vieillissement de la population française, le halal, l'alcool, les prières musulmanes de rue, le racisme et même le réchauffement climatique.Dans ce seul-en-scène, Fellag, cuisinier-conférencier sur des planches transformées en cooking-show, extrapole et délire sur la géopolitique de la haine et la géographie de l'amour. Dans ce cours singulier de cuisine particulière, comme toujours, l'absurde le dispute au burlesque. «Petits chocs des civilisations», comme l'indique l'adjectif même de la petitesse, est un bel optimisme gourmand qui conjure, en l'exorcisant, le fameux grand choc des civilisations. Car, comme le dit Fellag, «quand l'appétit va, tout va». Surtout que le rire, quand il est franc, n'a pas d'accent : il est algérien, il est français et il peut être, aussi, franco-algérien. Après tout, cet one-man show a été élaboré pour démentir les Cassandres qui prévoyaient depuis des lustres le choc de l'andouillette triple A et de la merguez épicée.Comme dans tous ses spectacles, l'Italien Dario Fo n'est pas loin de Fellag qui veut toujours faire conjoindre les cultures antagoniques ! Et c'est alors la fraternité retrouvée entre les goûts et les couleurs, les frontières et les peuples à travers ces «Petits chocs de cultures»… au théâtre. Rire fraternel qui fait rire les Autres. Qui rit avec eux. Rit de lui-même, jamais des Autres, encore moins contre eux. Traits d'humour et d'amour.Après son triomphe au Théâtre du Rond-Point, après 54 représentations, Fellag reprend la route pour la tournée de son «cooking show» en France, en Suisse et en Belgique, du 11 janvier au 13 juillet, pour terminer à Marseille, avec un petit choc du couscous et de la bouillabaisse ! N. K.