Il est connu pour être le roi de la synthèse au sein de son parti. Adepte philosophique du consensus quel qu'il soit, mou ou dynamique. Celui qui veut plaire à tout le monde ou qui ne veut déplaire à personne, c'est au choix. Normal, c'est un social-démocrate de bon aloi ou d'eau tiède, c'est selon. Le président François Hollande est un remarquable funambule. Mais, à Alger, c'est un parfait numéro d'équilibrisme qui l'attend. Il le sait pour avoir choisi d'effectuer sa première visite au Maghreb en Algérie. Comme le souligne un confrère français familier de l'Algérie, «il avait le choix entre une Tunisie secouée par des spasmes islamo-révolutionnaires, un Maroc monarchiste et une Algérie figée dans l'immobilisme politique.» Il a choisi donc Alger, sachant que son séjour sera placé inéluctablement sous le signe d'une mémoire coloniale qui se décline au pluriel. Et, sur le plan économique, sous le sceau du pragmatisme économique, générateur d'accords de coopération désormais mieux définis et de contrats rémunérateurs. Pour lui, l'enjeu essentiel consiste à placer le curseur au point d'équilibre le plus subtil. Bref, parler à tout le monde en Algérie et en France, sans mécontenter personne ou, si l'on veut, en faisant plaisir à tout le monde. Un difficile numéro de contorsionniste, bref, le hollandisme dans toutes ses rondeurs, dans tout son éclat politique. A Alger, les 19 et 20 décembre, François Hollande sera en quête d'une relation (enfin) apaisée. L'Algérie et les Algériens, il connait. D'aucuns parlent même de tropisme algérien, et pas seulement les voisins marocains chatouilleux auquel l'homme de la synthèse du PS français a envoyé récemment son premier ministre, le lisse Jean-Marc Ayrault, pour arrondir les angles royaux, assurer encore les positions de la France et rassurer les marocains. Un proche du chef de l'Etat français, évoquant ses séjours en Algérie depuis 1978 parle même d'une «part d'intimité» dans le rapport à ce pays difficile, complexe, fier et ombrageux. Pour le Hollande pas encore président de la République, la guerre d'Algérie est une tragédie nationale française dans laquelle son propre père fut un sympathisant OAS et un militant d'extrême-droite. Pis encore, sa propre famille socialiste s'y est abimée et avilie. En 2006, à la faveur de «Devoir de vérité», livre d'entretiens avec le journaliste Edwy Plenel, et dans le chapitre «Notre responsabilité coloniale», il dénonce, sans ambages, «la gauche qui a sombré moralement en 1956 en envoyant le contingent, en confiant les pouvoirs civils aux instances militaires et en acceptant la torture.» Il estime encore que la SFIO, l'ancêtre du PS, «a perdu son âme dans la guerre d'Algérie.» Et s'il trouvait alors que Guy Mollet et consorts socialistes pouvaient avoir leurs «justifications», il affirmait quand même que lui et ses camarades «ont des excuses à présenter au peuple algérien». François Hollande était alors premier secrétaire du PS. Devenu président, et même «normal» un temps où le baromètre des sondages était moins triste pour lui, il ne tient plus un tel langage. Il ne parle plus d'excuses, ne demande pas pardon, refuse la mortification consubstantielle à la repentance. Mais candidat à l'Elysée, il jette des roses rouges dans la Seine, en mémoire des centaines d'Algériens jetés vivants dans le fleuve opaque, un sinistre 17 octobre 1961. Et, une fois derrière les lambris et sous les dorures de l'Elysée, il transforme l'essai politique du 17 octobre 2011. Il reconnait officiellement l'«Ouradour sur Seine» des Algériens, leur rend hommage mais ne se couvre pas la tête de cendres. Le hollandisme, c'est toujours l'équilibrisme. A la veille de sa visite à Alger, il fait un autre geste, fidèle à sa politique des petits pas mémoriels feutrés. Un acte honorable, celui d'ouvrir les archives –on ne sait pas encore lesquelles et on ignore s'il lèvera aussi le secret-défense- relatives à l'assassinat par les paras de Massu du militant communiste algérien Maurice Audin. Le jeune mathématicien, enlevé en juin 1957 avait depuis «disparu», selon la version en cours en France depuis son assassinat par un aide de camp du général Massu, dans le quartier algérois d'El Biar. François Hollande, dans une démarche inédite pour un président de la Ve République, se recueillera à sa mémoire, devant la plaque commémorative sur la célèbre place algéroise qui porte le nom du martyr algérien. En Algérie comme en France, François Hollande sait qu'il est attendu davantage sur les mots qu'il va prononcer et sur les mots qu'il ne dira pas. Sur la question de la mémoire, il n'ignore pas que les Algériens sont dans une forte attente. Et, plus délicat encore, les différents groupes mémoriels français, Pieds-noirs, harkis, soldats du contingent, travailleurs algériens immigrés et leurs descendance, qui sont en embuscade. A l'Elysée, on précise alors qu'il n'est pas question d'être dans la repentance, dans le «Chagrin et la Pitié» de Marcel Ophüls sur le régime de Vichy, mais dans la vérité. La ligne de conduite adoptée et que le président français respectera à la lettre devant le président Abdelaziz Bouteflika, les parlementaires et les universitaires, à Alger comme à Tlemcen, est résumée par deux mots : respect et sobriété. Trouver les mots justes, neutres parfois, mais qui sonnent vrai, pour dépassionner la mémoire. Et l'on se plait à penser que les Algériens finiraient par accepter, de bonne grâce, l'idée que ce n'est pas la France qui était en cause en Algérie, mais le «système colonial, oppressif». En Algérie où il bénéficie d'un à priori très favorable, François Hollande sera accueilli dans un pays qui a un formidable potentiel économique et financier, unique dans la région. Il s'adonnera bien évidemment à un exercice obligatoire d'acrobatie mémorielle, évoquera des questions délicates, source de divergences nettes comme le problème du Mali et la question de la libre circulation des personnes. Mais il retournera sans doute avec des provisions substantielles dans le couffin de la coopération économique et militaire, ainsi que des échanges commerciaux. Par exemple, l'usine Renault à l'Ouest ou le projet de vapocraquage d'éthane à Arzew. L'idée directrice étant de construire un partenariat fort. Un partenariat d'égal à égal. Entre un pays, la France, qui vit des moments économiques difficiles et qui fait face notamment à un fort endettement et un déficit record de son commerce extérieur. Et son ancienne colonie, l'Algérie, dont la dette extérieure est insignifiante. Qui a des réserves en devises insolentes. Vient en aide au FMI et finance la dette américaine. Surtout, qui est devenue un gigantesque chantier à ciel ouvert. Terrain de prédilection de Chinois entreprenants, attentifs, patients, habiles, à l'écoute, prévenants, efficaces et moins-disant. Des Chinois qui taillent plus que jamais des croupières économiques et financières à des Français frileux, attentistes et plus chers. Des élites gauloises jugées parfois impatientes et arrogantes, alors même que le français n'a jamais été autant parlé en Algérie. Un pays où la France non officielle, avec laquelle les Algériens entretiennent des liens de sang, le sang versé, le sang mêlé, bénéficie en 2012 d'une incroyable côte d'amour. N. K.