Faudrait-il quitter l'Union européenne ou y rester et jouer un rôle de premier ordre ? Telle est la cruciale question qui fait actuellement débat au Royaume-Uni après la menace proférée par le Premier ministre britannique, David Cameron, qui a annoncé l'éventuelle tenue d'un référendum autour de ce sujet. Etat membre depuis 1973, le Royaume-Uni réfléchi de plus en plus à prendre ses distances avec Bruxelles, surtout depuis le début de la crise économique mondiale qui a plongé la zone euro dans la tourmente et l'incertitude. Les partisans de cette idée se font de plus en plus nombreux au sein de la classe politique anglaise, qu'elle soit de gauche ou de droite. Les différents sondages réalisés jusque-là confortent fortement la position des députés eurosceptiques. Plus de la moitié de l'opinion publique britannique a affiché son souhait de trancher cette question par voie référendaire, comme cela était le cas en 1975, date à laquelle Londres avait prolongé son adhésion à L'UE, après avoir passé deux années à observer de loin le fonctionnement de l'Union. Si la Grande-Bretagne a beaucoup contribué au renforcement de l'Union du point de vue législatif et en matière de politique étrangère, il faut toutefois reconnaître qu'elle a freiné la dynamique du vieux continent, avec son approche plutôt alignée sur la logique des Etats-Unis que sur l'Europe, par rapport à de nombreuses questions, ce qui provoque à chaque fois de véritables polémiques et débats houleux au sein du Parlement et autres institutions de l'UE. Aussi, la menace de David Cameron de convoquer un référendum pour décider de l'avenir du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne ne laisse pas indifférent, ni en Angleterre ni ailleurs, y compris même à Washington, qui s'oppose carrément à cette option, considérée comme une porte ouverte vers la fin de l'UE. Dans son discours à l'ambassade des Etats-Unis à Londres, en ce début d'année 2013, le secrétaire américain chargé des Relations avec l'Europe, Philip Gordon, a relayé la position de l'administration Obama qui ne conçoit pas l'idée d'une Grande-Bretagne hors de l'UE. «Nos liens se resserrent avec l'Union européenne en tant qu'institution. Or, celle-ci a une voix qui porte de plus en plus dans le monde, et nous voulons que la Grande-Bretagne ait une voix forte dans cette Union européenne», a expliqué Philip Gordon. «Les référendums ont souvent contribué à ce que les pays se renferment sur eux-mêmes», a-t-il averti. Un des membres les plus influents de l'Union européenne, en l'occurrence l'Allemagne, a aussi déconseillé à l'Angleterre de quitter ce bloc politico-économique, mais surtout à cesser ce qu'elle considère comme une sorte de «chantage» de sa part pour «recouvrer certains pouvoirs transférés à Bruxelles». Au niveau interne, de nombreux patrons d'entreprises et groupes économiques ont appelés David Cameron à renoncer à la tenue du référendum, lui conseillant de renforcer la place de leur pays à Bruxelles au lieu de rester à l'écart, justifiant leur position par le risque d'effondrement économique de la Grande-Bretagne qui, il faut le souligner, trouve dans le vieux continent un véritable marché pour sa production. Contrairement à l'Allemagne, qui a émis son souhait de voir Londres demeurer au sein de l'Union, via son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, l'ex-président de la Commission européenne, le socialiste français Jacques Delors, a invité le Royaume-Uni à quitter l'UE et opter pour une autre forme de partenariat, face à son refus de jouer entièrement le jeu de l'intégration européenne. «Les Britanniques s'intéressent seulement à leurs intérêts économiques, à rien de plus. On pourrait leur proposer une autre forme de partenariat», a-t-il déclaré récemment dans un entretien accordé à plusieurs médias en Allemagne et en France. «Si les Britanniques ne suivent pas la tendance allant vers plus d'intégration dans l'Union européenne, nous pourrions malgré tout rester amis, mais sous une autre forme», a-t-il toutefois relativisé.
Quittera ou quittera pas ? Tous les arguments avancés par les uns et les autres concourent au maintien de l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'Union européenne, estimant que la crise de la zone euro est éphémère. L'accentuation de la crise économique et financière qui a plongé la zone euro dans la tourmente, constitue un des justifications et moyens de pression sur David Cameron, qui envisage de briguer un autre mandat en 2015. Son discours sur l'organisation d'un référendum est d'ailleurs perçu comme un moyen de gagner le soutien des députés eurosceptiques pour rester au pouvoir jusqu'en 2020. Mais il n'ignore pas qu'il joue avec le feu, car personne ne sait quelles conséquences auront ses déclarations puisque sur le plan pratique le référendum ne pourrait pas avoir lieu avant deux ans, c'est-à-dire avant 2015. Il faudrait en fait prendre en considération les lois régissant le fonctionnement de l'Union européenne, qui ne peut entamer la révision de certains traités qu'à partir de 2015. D'ici cette date, la crise pourrait être dépassée et l'idée de la sortie de l'UE pourrait perdre ses partisans, estiment certains cercles politiques anglais favorables, eux aussi, au renforcement du rôle du Royaume-Uni à Bruxelles. Du côté des analystes, on enregistre le même son de cloche. «Cette sortie n'a pratiquement aucune chance d'intervenir, d'après deux facteurs que ne peuvent oublier les responsables gouvernementaux», estime Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et professeur à l'Institut d'études politique de Paris, dans un entretien publié par Atlantico, un site d'informations internationales et d'analyse géopolitique. «Le premier facteur : les Britanniques sont collés à l'Europe, ils sont Européens et ne peuvent se rattacher à un autre continent. Aucun dirigeant politique ne peut ignorer la géographie. Le deuxième facteur : ce sont les multiples liens financiers et économiques qu'ils ont tissés avec l'UE. La prospérité des Britanniques est liée à l'UE. Aujourd'hui, le Royaume-Uni ne fait plus ses échanges avec le grand large (Australie, Afrique du Sud, etc.), mais avec l'UE. Comment quitter un ensemble auquel on est tellement rattaché ?», explique ce chercheur qui craint aussi pour l'avenir politico-économique de l'Europe. Si la Grande-Bretagne quitte Bruxelles «ce serait un coup terrible pour l'UE, le signe d'une décomposition, d'un morcellement qui irait à l'encontre de la construction européenne. Si jamais le départ des Britanniques, et même des Anglais, se produit, l'Europe est finie, elle sera vouée à sombrer dans les poubelles de l'Histoire», tranche-t-il. En 2011 déjà, Bernard Snoy, professeur et membre de l'Institut d'études européennes de l'Université catholique de Louvain, a déclaré à la télévision belge Rtbf que «parler de sortie de la Grande-Bretagne est sans doute prématuré, précipité», ajoutant que «le coût serait très grand pour tous les partenaires. Et cela mettrait fin au marché unique. Non, cela ne tient pas la route pour le moment». David Cameron reviendra-t-il sur sa parole pour éviter ce scénario choc ? L. M.