Plus de 200 personnes, issues de la minorité chiite, ont péri dans des attaques-suicides depuis janvier. Rien que pour la journée de dimanche dernier, pas moins de 81 chiites ont été assassinés dans un marché à Quetta. Le nombre de blessés a dépassé les deux cents dans l'explosion d'un camion citerne qui contenait une tonne d'explosifs. Cet attentat a été perpétré une semaine après une action similaire dans laquelle une centaine de chiites a été tuée, pratiquement avec la même méthode, dans la même localité de Quetta où se concentre cette communauté, appartenant à la tribu des Hazaras. Cette tribu subi depuis les années quatre-vingt les affres de la violence armée, œuvre des groupuscules sunnites extrémistes, accusés par les organisations humanitaires et de défense des droits des minorités de génocide ethnique, sous le regard indifférent des autorités pakistanaises. Les Hazaras, qui vivent aussi dans quelques régions de l'Inde et de l'Afghanistan, sont aussi victimes des terroristes talibans. Au Pakistan, où ils sont plus nombreux, ils subissent aussi des discriminations en tous genres. Les chiites qui représentent 20% seulement des 180 millions d'habitants au Pakistan, ne peuvent accéder ni au poste président de la République islamique du Pakistan, ni occuper certaines hautes fonctions militaires et administratives. La Constitution pakistanaise leur interdit ça bien qu'ils soient, eux aussi, musulmans. la première loi du pays impose au candidat à la présidentielle qu'il soit issu de la religion musulmane mais aussi d'être sunnite, ce qui change complètement la donne. Si la Constitution garantit la droit à la différence religieuse et une relative liberté à la presse qui «ne touche pas aux valeurs de l'islam», les autorités d'Islamabad laissent faire, par leur passivité, les groupes extrémistes qui tuent dans l'impunité quasi-totale les personnes issues de la communauté chiite et surtout celles appartenant à la tribu des Hazaras. Les rapports rendus publics, à partir de nombreux témoignages et articles de la presse régionale, à Quetta et dans d'autres villes pakistanaises, sont plus que stupéfiants. Le dernier en date est celui de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés qui a dénombré l'assassinat de plus de 4 000 chiites, ces trente dernières années, par des extrémistes sunnites et relevé que 73% des meurtriers ont été acquittés par la justice populaire dans les provinces reculées. «Dans le district de Dera Ismail Khan, dans la province de la frontière du Nord-Ouest, 540 chiites ont été tués suite à des violences interconfessionnelles depuis 2006», selon ce rapport. «Certains de ces extrémistes sunnites ont des liens avec les groupes talibans et se sont engagés avec impunité dans l'assassinat de centaines de civils chiites. Les lieux de culte sont la cible d'attaques des groupes extrémistes sunnites», a encore précisé le document de l'ONG suisse qui a signalé par ailleurs le fait qu'il y ait eu de nombreux cas de disparus et de liquidations physiques de personnalités scientifiques, politiques, religieuses, etc., toutes des chiites. Selon l'organisation Human Rights Watch (HRW), plus de 400 chiites ont été tués au Pakistan en 2012, «l'année la plus sanglante» pour cette communauté dans l'histoire de ce pays. Mais la recrudescence des violences contre les chiites, qui ont fait près de 200 morts depuis début janvier, fait craindre une année 2013 encore plus meurtrière. «Dans les années 90, des docteurs et des ingénieurs chiites étaient systématiquement pris pour cible. Quatre-vingt-sept docteurs chiites ont été tués dans des assassinats ciblés jusqu'à présent. Petit à petit, la portée de ces assassinats religieux ciblés s'est déplacée du sud du Pendjab à Parachinar et au Baloutchistan, où la tribu chiite Hazara en paie le tribut», lit-on sur Global Voice, un site d'information relatif à la défense des minorités ethniques et religieuses à travers le monde. «Au cours des 10 dernières années, 120 attaques majeures contre les Hazaras ont fait près de 800 morts et plus de 1 500 blessés. Si certaines attaques ont ciblé des personnalités bien en vue de la communauté Hazara, environ un tiers des victimes sont des enfants. Rien qu'en 2012, il y a eu 56 attaques. Et 300 autres Hazaras ont trouvé la mort en tentant de fuir le Pakistan pour se réfugier dans d'autres pays, principalement en Australie où réside une communauté hazara bien établie», a encore ajouté Ghaffar Hussein, un militant de la minorité chiite qui dénonce carrément un génocide déguisé contre sa communauté. L'attentat de dimanche n'a donc fait que confirmer ces hypothèses de violences génocidaires qui, si elles se poursuivent à ce rythme, conduiraient le Pakistan à une guerre civile interconfessionnelle plus que certaine. D'où donc la nécessité de protéger les minorités aussi bien religieuses qu'ethniques. L'Etat pakistanais est le premier acteur de la sécurité mais aussi le premier responsable de ces violences, en raison de son silence et de sa passivité devant l'émergence des sectes sunnites et des courants religieux extrémistes à travers tout le pays. Pourtant, avant les années soixante-dix, le Pakistan était un des pays musulmans où l'ensemble des communautés vivaient en harmonie et où ces minorités pouvaient prétendre à accéder à de hauts niveaux de responsabilités politiques, militaires et administratives. Mais à cette époque, c'était une autre histoire, un autre contexte. L. M.