Phénomène de masse récurrent, la violence dans les stades et alentour est un vrai fléau. Un danger permanent menaçant l'ordre et la sécurité publics. Rien d'exagéré dans ces propos qui relèvent plutôt d'un constat lucide et affligeant : pas un stade algérien qui n'ait ses tribunes de la honte ; pas une ville disposant d'un terrain de football qui n'ait ses hooligans, hordes de jeunes Attila qui veulent en découdre avec la société, l'ordre établi, le pays et la terre tout entière. Ce phénomène endémique exprime une violence spontanée et anarchique, souvent le fait de bandes de jeunes adolescents et même d'enfants exhalant à l'occasion un profond mal-être social, un dégoût de vivre, une révolte nihiliste. Quand ce ne sont pas des minots impubères, ces humans bombs, prêts à exploser à la moindre «étincelle», ont l'âge de la violence terroriste qui a déferlé sur le pays depuis 1992. Ce phénomène, urbain et suburbain, est d'autant plus inquiétant qu'il trouve racine dans le terreau fertile de la violence à matrice politico-religieuse. D'autant plus terrifiant, aussi, que cette violence explosive n'est pas seulement le fait de noyaux durs de supporteurs à haut risque. C'est un phénomène de groupes plus larges, animés certes par des leaders reconnus ou spontanés. Mais la violence observée s'exprime souvent par affluences comme un oued en crue qui grossit, enflé par les précipitations et par les apports supplémentaires des cours d'eau avoisinants. Certes, le phénomène n'est pas propre à l'Algérie. Il existe évidemment partout où un ballon rond tourne. Mais là où ça ne tourne pas rond dans notre pays, c'est lorsqu'on constate que les pouvoirs publics privilégient souvent la solution du cautère sur une jambe de bois, administrent le cachet d'aspirine à un cancéreux, bref, ont une prédilection pour les remèdes de carabins. La question est aussi vieille que l'indépendance du pays. En 1994, par exemple, un «comité national de la coordination intersectorielle pour la prévention de la violence» avait été installé par le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, et les mêmes maux, les mêmes remèdes de rebouteux, voici que l'actuel ministre en charge du même département, animé sans doute de la meilleure volonté du monde, a installé le 6 octobre 2008 une «commission nationale de coordination intersectorielle pour la prévention de la violence dans les enceintes sportives». Encore une, cherchons l'anomalie ! Et encore, en 2002, la Fédération algérienne de football prenait pour la énième fois des mesures naturellement énergiques, nécessairement drastiques et inéluctablement sans effets notoires. Les mesures prises, quelle que soit la bonne volonté de leurs auteurs, seront toujours de simples rustines tant que fera défaut une forte volonté politique de prévention et de lutte permanente contre le fléau de la violence. Un plan national global et permanent, applicable aussi à l'urgence, est vital. Il n'est pas l'affaire des seuls pouvoirs publics. Il est aussi, nécessairement, celui de la communauté sportive nationale et de la société civile. Bien qu'elle se nourrisse en amont de facteurs extra-sportifs, la violence des stades n'est pas une fatalité. D'autres pays, mutualisant les moyens et les intelligences de la société et de l'Etat, ont trouvé des solutions sans pour autant, il est vrai, endiguer définitivement le phénomène. L'exemple le plus édifiant est celui de la Grande- Bretagne où, aujourd'hui, les supporters sont à un mètre de la pelouse sans en être séparés par des fosses comme c'est souvent le cas ailleurs. La France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne aussi. Exception faite des solutions économiques, sociales et psychopédagogiques, des solutions, plus simples, plus pratiques et plus pragmatiques existent. La première, organiser et encadrer les clubs de supporters. Généraliser leur existence. Les aider à se structurer pour animer, contrôler et canaliser les supporteurs. En un mot, leur conférer un statut juridique propre qui en fera des acteurs et des partenaires à part entière dans la gestion des jours de matchs et des supporteurs. Par exemple, leur confier, comme cela se fait ailleurs, l'essentiel de la billetterie de sorte qu'il n'y ait plus de vente directe de billets aux guichets. Ce système permet d'identifier à la source, les supporteurs, notamment les éléments susceptibles de créer des problèmes. Identifier, c'est prévenir. Dans ce cadre, les clubs de supporters auraient, en collaboration avec les autorités, la mission d'encadrer les tribunes par des animateurs respectés et crédibles que l'on pourrait appeler les «grands frères». Ces intervenants, sortes de vigies et de relais des clubs de supporters dans les gradins, seront aussi des créateurs d'ambiance et des agents d'apaisement qui interviennent dès l'expression d'un comportement à risque dans les tribunes. Des campagnes de sensibilisation des supporteurs, mais aussi des joueurs, des dirigeants de clubs, des arbitres, des comités de supporteurs sont indispensables. On a relevé que les effets de groupe grossis par l'anonymat des gradins, les erreurs d'arbitrage, mais aussi le manque de fair-play des équipes, l'incompétence du management des clubs et les discours incendiaires de certains dirigeants, lesquels, parfois, chauffent à blanc leur public, et, last but not least, les excès verbaux d'une presse sportive âpre au gain, sont autant de facteurs de déclenchement de la violence dans et hors enceintes sportives. Outre le vital travail pédagogique, des mesures simples seront les bienvenues. Comme par exemple d'encourager l'esprit sportif et la convivialité en attribuant des points bonus pour le fair-play. Ces points seront comptabilisés dans le classement au fil du hampionnat. Accorder également des points bonus pour les équipes qui privilégient l'offensive, gage de beau jeu et de convivialité dans les stades : un point supplémentaire pour les équipes qui marqueraient trois buts procurerait du plaisir aux supporters et adouciraient les mœurs belliqueuses de certains d'entre eux. Ne pas hésiter, non plus, à sanctionner les comportements antisportifs de présidents et de dirigeants irresponsables. Frapper aussi les clubs au portefeuille, leur infliger des pénalités en termes de points à défalquer du classement. Toutes les mesures, mêmes paraissant dérisoires, seront toujours de bon aloi. Aussi augmenter le prix des billets afin de favoriser l'élimination des éléments à risque. Procéder au contrôle d'identité aux abords et à l'entrée des stades afin d'empêcher les mineurs et les enfants non accompagnés par des adultes d'entrer dans les stades serait, d'autre part, une mesure judicieuse. Décréter aussi des interdictions de fréquentation des stades aux supporters les plus dangereux, préalablement identifiés dans un fichier tenu à jour des supporters à risque. L'usage de caméras de surveillance paraît à ce propos indispensable. Mais, il faut en convenir, toutes les mesures, grandes ou petites, n'auront de sens que si l'Etat dote le pays de stades modernes et intégrés, dignes de ce nom, qui seront des espaces de paix civile et de convivialité. Ces enceintes, contrairement à celles qui se trouvent le plus souvent en plein tissu urbain, doivent être implantées à la périphérie des villes. Le fait, par exemple, que les stades de Bologhine, des Annassers (Ruisseau), Kouba et El Harrach, soient situés en pleine agglomération, favorise les débordements, crée des problèmes de congestion de la circulation automobile et provoque des désordres récurrents sur la voie publique. La responsabilité de l'Etat est à ce prix. Elle s'exprime toujours, en amont et en aval des problèmes. N. K.