La compétition de la 8e édition du Festival national du théâtre professionnel s'est clôturée avec la nouvelle production du TNA, Nedjma, adaptée de l'œuvre éponyme de Kateb Yacine par Chidi Souffi, mise en scène et scénographie d'Ahmed Benaïssa et réécriture dialectale et construction dramaturgique d'Ali Abdoun. Durant plus d'une heure, les présents seront plongés au cœur de l'atmosphère de l'œuvre katébienne où émerge sa double passion : la femme et la patrie incarnées en Nedjma. Avec le choix d'une narration linéaire, Ahmed Benaïssa a relevé le défi de rendre l'écriture fragmentée de Kateb Yacine plus accessible, tout en conservant l'essence du génie katébien. Pour cela, il a multiplié les tableaux, qui s'enchainent à un rythme effréné, valsant entre les différentes écoles théâtrales, tant dans la direction des acteurs, dans l'occupation de l'espace scénique que dans l'expression corporelle des comédiens. Une pluralité en hommage aux référents chers au regretté Kateb Yacine, à l'instar de la tragédie grec, du théâtre athénien, la poésie d'Eschyle, Shakespeare, Stanislavski, mais également le goual et la halqa. Une pluralité de techniques en redondance en écho à la pluralité des lectures possibles de Nedjma et à l'une des particularités essentielles de l'œuvre dramatique de Kateb Yacine, où on peut retrouver des séquences entières reprises dans toutes ses pièces. Ainsi, en multipliant les espaces et les temps, entre mythe et réalité, tradition et modernité, Ahmed Benaïssa et Ali Abdoun on relevé avec brio le défi de la jonction entre l'œuvre littéraire et son incarnation sur les planches. La maîtrise de la technicité était également rehaussée par une scénographie où chaque élément avait sa fonction scénique : la lumière, la musique, composée par Chikh Amine, l'utilisation d'ombres chinoises et de panoramas cinématographiques a donné un cachet particulier à la pièce amplifiant l'émotion se dégageant de la scène. Un des instants les plus émouvants de la représentation est le laïus en chœur des comédiens citant le célèbre passage de «La rue des vandales», l'appel à l'insurrection et à l'éveil des consciences suite au terrible massacre du 8 mai 1945. Dans ce passage, la maîtrise de la déclamation et la puissante symbolique de la chorégraphie ont été fortement applaudies par le public. L'un des autres moments poignant, est le tableau incarnant le mythe de la femme sauvage, celui où Nedjma, l'amante convoitée, devient «la sauvage», marquant ainsi le retrait social de Nedjma dans Les ancêtres redoublent de férocité. Elle devient alors l'incarnation de la multiplicité des féminités, représentée sur scène par ses spectres de femmes : mères, sœurs, épouses. Des figures féminines qui, au-delà de leur fonction sociale, sont aussi les gardiennes de la mémoire et de la transmission. Ainsi cette Nedjma, femme sauvage, transcende le mythe de la folle pour devenir la louve éprise de liberté, à l'instinct de survie et de protection, enfantant dans la douleur Ali, fils de Lakhdar, l'enfant qui deviendra le combattant arrachant par les armes l'indépendance de l'Algérie. Pour rappel, la trentaine de talentueux comédiens évoluant sur la scène, ont été recrutés sur tout le territoire national et formés dans des ateliers spécialement pour l'incarnation de cette œuvre épique. Un autre clin d'œil au souci de la transmission intergénérationnelle qui préoccupait Kateb Yacine et qui le fera certainement mieux apprécié par cette jeunesse. De même, cette pluralité de jeunes comédiens a permis sur scène d'incarner une pluralité d'accents, du nord au sud de l'est à l'ouest. Une pluralité et une richesse identitaires exprimées aussi à travers les chants Chaoui, kabyles et targuis A travers cette symbolique de Nedjma, c'est la symbolique de l'Etat nation et patrie qui émergeait de l'œuvre dès les années 50. Au-delà de la de la tribu des Keblout et de ses descendants, il s'agit avant tout de la construction d'une nation, fruit de plusieurs modes d'expressions qui construiront l'identité algérienne. Dès lors, à travers les différents tableaux où se mêlent le mythe, la légende, les faits historiques, la réalité et l'avenir fantasmé, il s'agit avant tout d'une question de transmission et de constitution de cette identité. Cette étoile qui brille au firmament pour illuminer le destin des plus humbles. Au Final, Ahmed Benaïssa et toute son équipe ont su respecter l'œuvre de Kateb Yacine tout en subjuguant le public qui a ovationné la pièce. A l'image de l'œuvre éponyme, la représentation théâtrale de la «Nedjma» d'Ahmed Benaïssa est tendre et violente, rythmée et langoureuse, épique et individuelle, poignante et pleine d'espoir. En somme, une métaphore d'une Algérie toujours en construction, en quête de ses origines tout en affirmant son envol vers un avenir certes incertain mais plein d'espoir. S. B.