En Algérie, dans le langage populaire, pour qualifier une situation d'anarchie, on dit : «C'est le souk.» Et cela n'est pas fortuit, car le désordre qui règne dans nos marchés dépasse l'entendement. Cela est d'autant plus vrai dans les espaces de commerce réservés à la vente en gros des fruits et légumes. La situation est tellement critique que des mesures rigoureuses et multilatérales doivent être prises en urgence. «Ni coopération internationale ni adhésion à l'OMC ne peuvent être envisagées sérieusement si on ne lutte pas efficacement contre le commerce informel et l'anarchie qui règne dans les marchés», reconnaît Salah Souilah, secrétaire général de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Cela se passait au cours d'une intervention qui a eu lieu jeudi dernier, lors de la tenue du premier congrès de la Fédération nationale des marchés de gros des fruits et légumes. «L'Algérie vit un tsunami de marchés et de commerces illégaux», déplore un représentant des mandataires de Béjaïa. Les interventions des différents représentants des mandataires des marchés de gros de fruits et légumes venus de différentes wilayas du pays renseignent sur le malaise dans lequel se débat le secteur. Les régions diffèrent, mais les problèmes sont les mêmes : concurrence déloyale, déficit en marchés de gros, exercice informel de l'activité, inadéquation des espaces réservés à l'activité, manque de contrôle, d'hygiène et de sécurité, système d'imposition inadapté et retraite tardive sont autant de griefs soulevés par les tribuns. Le ministère du Commerce a dégagé des sommes importantes pour la création de marchés de gros de fruits et légumes à travers le territoire national, mais les réalisations sont lentes. Et dans beaucoup de cas, leurs emplacements sont mal choisis et les carrés inadaptés, d'après les intervenants. «Un marché en plein centre-ville, à moins de 20 mètres du siège de la wilaya, ne peut que poser des problèmes, alors que des espaces en dehors de la ville sont nombreux. L'indisponibilité de places de stationnement et les embouteillages compliquent notre travail», témoigne le représentant de Béchar. «Qu'on nous accorde des terrains adaptés et nous sommes prêts à construire nous-mêmes nos carrés», fulmine un mandataire de Constantine en expliquant : «Construire des carrés de 3 mètres sur 5 n'est pas approprié à ce genre de commerce. Il faut entre 80 et 120 m2, un niveau et une chambre froide, pour pouvoir exercer notre profession convenablement.» L'autre problème sans cesse évoqué par les différents intervenants a trait à la concurrence déloyale et au marché parallèle. «Si cette situation perdure, les vrais commerçants vont disparaître», déplore le SG de l'UGCAA. «N'importe qui remplit sa camionnette de marchandises, s'installe à l'entrée des marchés, obstruant l'accès et commence à vendre. Nous avons à maintes reprises signalé cela aux directions du commerce locales qui se disent impuissantes. Parfois, ce sont les fellahs eux-mêmes qui se chargent de commercialiser leurs produits, sans payer de taxes et cela reste légal», dénonce un intervenant. En plus de ce facteur, il se trouve que, dans certaines régions du pays, ce sont carrément des marchés parallèles qui activent sans aucune autorisation, au vu et au su de tout le monde. «Selon le ministre du Commerce, 56% de la production agricole nationale ne passe pas par les marchés. Je dirai encore plus : entre 80 et 90%», soutient le représentant des mandataires de Béjaïa. La taxe sur la valeur ajoutée est un autre handicap dénoncé par les mandataires (7% pour les légumes et 17% pour les fruits). «Face au nombre important de commerçants exerçant sans registre du commerce, on ne peut pas tenir le coup. Un mandataire ne récolte que de 2 à 5% de marge, comment peut-il payer la TVA à 17% ?» s'interroge le secrétaire national de l'UGCAA, Guebli Salah. «La vente dans le marché de gros de fruits et légumes se fait généralement sans facture. Comment peut-on alors respecter le plan national comptable ?» renchérit un participant. «Dans les conditions actuelles, la taxe sur les ventes n'est pas supportable, elle serait plus adaptée si elle est prélevée sur le bénéfice», propose un mandataire de Constantine. En termes de propositions, le représentant des mandataires de Béjaïa suggère, concernant la fiscalité, «soit d'instaurer un décret et d'adopter des lois conformes à la situation algérienne pour la régulation des marchés, soit de fixer une taxe même élevée ou d'instaurer un impôt unique». Un autre intervenant réagit pour dire que les lois existent mais c'est leur application qui fait défaut. «A Tipasa, nous avons tenté de respecter la circulaire émanant du ministère du Commerce quant à la gestion de l'activité. Mais sur le terrain et devant la concurrence déloyale, nous n'avons réussi à tenir que pendant deux mois.» En plus des facteurs précédemment cités, il y a la gestion anarchique et les horaires de travail dans les marchés, l'âge de départ à la retraite (les mandataires réclament l'abaissement de l'âge de départ à la retraite de 65 à 60 ans), le manque d'hygiène, de sécurité… Les réclamations étaient nombreuses et brassaient un tableau des plus sombres sur l'activité de mandataire de gros en fruits et légumes en Algérie. Mais les intervenants ont omis une chose primordiale. La première victime de cette situation est et restera le consommateur. Le simple citoyen qui trouve toutes les difficultés du monde à remplir son panier avec un produit sain et à un prix raisonnable. Surtout que c'est ce dernier qui supporte réellement le poids de la TVA. S. A.