De notre envoyé spécial en Tunisie A. Lemili En politique, il existe vraisemblablement une forme de tunisianisme comme l'est le parisianisme dans le comportement d'une partie de la population résidant et qui consisterait à présenter de manière globale une situation qui est bien loin de répondre, et pour cause à la réalité. Ainsi vu à partir d'Algérie, depuis le renvoi de Benali au néant le plus total et tout au long de la période qui a suivi, la situation en Tunisie a quasi régulièrement été présentée comme chaotique par les médias. Si les médias autres que maghrébins se sont jusque là efforcés de coller à la réalité en ne faisant cas d'évènements en Tunisie que lorsque ces derniers s'imposaient compte tenu de leur gravité (actes terroristes, répression policière, arrestation de journalistes…) ceux algériens ont, quant à eux, trop identifié le flottement né au lendemain de la révolution tunisienne à ce qui s'est passé en Algérie dès octobre 1988. Ce faisant, la rue prenant en considération ce qu'elle lisait dans les journaux a, comme à son habitude, servi de caisse de résonance et surtout d'amplificateur d'informations déjà peu fiables transformées en cours de route en rumeur massacrante à telle enseigne que l'homme de cette même rue, algérienne notamment, recommandait à qui voulait l'entendre et surtout le croire que le pays voisin était un pays pratiquement au bord de la guerre civile et qu'envisager d'y passer ses vacances équivaudrait à aller à l'aventure, voire au suicide délibéré. Ce qui s'est passé sur les hauteurs de Chaambi et à la limite des frontières tuniso-algériennes avec pour conséquences des affrontements entre forces régulières et terroristes rendait encore plus complexe et surtout plus floue la situation. Or, pour celui qui tentait «l'aventure» d'Algérie en Tunisie et sur n'importe quelle destination tout baignait dans la plus grande sérénité. Il était toutefois facilement remarquable que la circulation était moins dense que par le passé. Les informations et la rumeur ayant fait effectivement leur travail faisant ainsi en sorte que le flux des touristes dans le sens Algérie-Tunisie n'était effectivement pas important comparativement aux années Benali. Ainsi à l'exception de la capitale en l'occurrence Tunis où l'activité politique sinon l'activisme politique est nettement visible, le reste du pays est littéralement et totalement déconnecté de ce qui est, sans exagération, imputable à de la gesticulation propre au lendemain de révolution. Même si de temps à autre, il arrivait aux formations politiques opposées au gouvernement et autant le préciser à celle (formation) de Ghannouchi d'animer des marches sporadiques avec pour slogan la formule consacrée par les révolutions siglées «printemps arabe»… «Dégage» créant ainsi de temps à autre avec les manifestations spontanées d'associations de solidarité avec le peuple syrien et égyptien un certain désordre sous le regard plutôt amusé des touristes. Plus particulièrement celui des Européens. Donc, une fois la capitale quittée, la vie politique n'est plus qu'un souvenir et aussi bien à Tabarka, Nabeul, Hammamet, Sousse, Monastir, le climat tendu à fleur de peau à Tunis n'est plus qu'un souvenir. Une sorte de déjà vu et régulièrement vécu par des touristes algériens plutôt désabusés sur la question.
Des Tunisiens plus revêches que par le passé Mais il est tout aussi vrai que la vie n'est plus pimpante, les Tunisiens lorgnent désormais avec moins de docilité l'étranger. Quoi que, c'est selon l'importance du flux de ces mêmes touristes à partir des pays d'Europe que, dans une importante partie de l'économie nationale, vient le salut. D'ailleurs ce changement dans la mentalité et le comportement des Tunisiens est visible pour un œil averti. D'habitude excessivement cosmopolite, les villes tunisiennes semblent n'être plus que la destination des Européens de l'Est et à un degré moindre des Italiens. Allemands, Français et Britanniques avantageusement envahissants par le passé ont brillé par leur absence. Les quelques touristes de nationalité française rencontrés n'étaient pas expansifs comme ils l'étaient naturellement, encore faudrait-il souligner que ces derniers faisaient plutôt partie de ceux que l'on appelle les seniors, voire des personnes du troisième âge. Cela prêterait à croire que c'est forcément pour des raisons de sécurité qu'ils se sont plus ou moins montrés transparents. Cette désaffection, par voie de conséquence, a très lourdement pesé dans le chiffre d'affaires des agences de tourisme algériennes d'abord dont les responsables ont dû cogiter et rivaliser d'imagination pour équilibrer les comptes d'une saison estivale tronquée d'abord en raison du mois de Ramadhan qui leur aura «bouffé» au minimum une quarantaine de jours d'activité pleine et ensuite du climat sécuritaire évoqué. L'effet aura été immédiat avec des prix à la location dans les résidences collectives à double fonction, à savoir résidence universitaire durant toute l'année du même nom et résidence pour touristes durant la saison estivale. 25 et 35 dinars tunisiens pour respectivement un appartement consistant en deux ou trois chambres meublées, une salle de bain et cuisine intégralement équipés. Une exploitation gagnant-gagnant à souhait pour le propriétaire qui cède les lieux temporairement à une agence algérienne de voyage contre une ristourne appréciable (jusqu'à 10 DA par chambre et par nuitée) pour le gérant de ladite agence. Ceci étant, les résidences individuelles sont tout aussi disponibles sauf qu'elles sont un peu plus chères comparativement à l'année écoulée (entre 10 et 15 DA d'augmentation. Ce qui n'est pas négligeable, est-il besoin de le souligner. Ndlr). En dehors de la mer, du soleil et de l'art culinaire local, les touristes raffolent des virées dans les vieilles cités que recèlent en leur sein pratiquement toutes les villes de Tunisie dont les responsables à hauteur des gouvernements successifs depuis la fin du protectorat et de la gestion ponctuelle des gouvernorats (wilaya) ont littéralement fait une lecture de l'avenir tels des visionnaires en veillant à la préservation des sites millénaires contre l'usure du temps en y impliquant les populations lesquelles y ont tout à gagner. Pour preuve, l'engorgement des places, venelles et autres méandres des inévitables citadelles dans lesquelles les produits de l'artisanat local sont écoulés comme des pains même si c'est à l'issue d'âpres négociations avec les clients. Autres lieux où se mêlent dans la plus grande cacophonie les touristes : les parcs d'attraction. Des parcs, faut-il le préciser, ultramoderne et en comparaison desquels ceux dont disposent les villes algériennes ont de quoi déprimer. Les touristes et plus particulièrement les Algériens hantent chaque nuit que Dieu fait les lieux et peu regardant sur les coûts y «claquent » beaucoup d'argent. L'essentiel étant pour les familles de faire plaisir à leurs enfants et pour les jeunes de s'éclater au maximum le temps d'une soirée.
Inévitable, la stèle du Zaïm Des nuits «agitées» qui n'empêchent pas les touristes, toutes nationalités confondues, de se retrouver les autres jours au port de Sousse notamment pour une virée au large dans des répliques de bricks de corsaires (bateau pirate) pour une durée de trois heures, restauration comprise, plongeon à partir du bord et garantie de profiter d'une eau limpide et transparente. Tout cela au son d'une musique variée sur laquelle rares ceux qui ne se déhanchent pas. Partir en Tunisie implique obligatoirement un détour par Monastir, ville natale de feu Bourguiba. Si tout au long du trajet séparant Sousse de celle-ci le parcours et monotone, à une dizaine de kilomètres de Monastir il devient alors très aisé pour toute personne non avertie de remarquer la différence de ton dans les paysages. Route impeccablement balisé, palmiers alignés de manière rectiligne, abords immaculés laissent alors comprendre qu'il ne s'agit pas d'une ville ordinaire. Et pour cause. A son centre, les visiteurs semblent s'être donné le mot. La question inévitablement posée est «Existe-t-il un statue de Bourguiba ?» La réponse est évidemment affirmative et sur les lieux, il faut littéralement faire la chaîne pour poser devant la stèle du «Zaïm» ou faire très vite pour prendre une photo de la stèle avant qu'un touriste ne vienne se faire immortaliser à côté. Enfin, et quelles qu'elles soient, les villes tunisiennes ont perdu de leur lustre habituel. Pis, elles sont devenues aussi sales que les villes algériennes, d'ailleurs la stratégie des pouvoirs publics semble être la même en ce sens que seules les grandes artères et quelques places sont régulièrement nettoyées continuellement. Ainsi les plages ne sont-elles plus «nickel». Parsemées de canettes de boissons, sachets nylon, couches de bébés, pelures de banane, celles-ci n'ont plus rien à envier à celles du voisin en l'occurrence…l'Algérie. Comme le manque d'hygiène, il y a une autre particularité : celle de la violence urbaine, l'intolérance de certaines personnes à l'endroit d'autres à l'image des individus en état d'ébriété même si ces derniers n'attentent en rien aux autres. Dans tout cela que fait alors la police ? Elle donne l'impression d'être absente et pour peu que des agents soient présents rarement se mêlent-ils de ce qui peut se passer dans la mesure où ils arborent généralement le sigle de «police de la circulation routière». La nuance serait-elle là ? Nous apprendrons sur place que si les policiers en tenus ne sont pas visibles en nombre c'est qu'en «grande partie les fonctionnaires sont en civil et se noient à la foule». D'ailleurs la relation avec un laxisme étatique qui ne dit pas son nom est visible avec la présence de pick-up rempli à ras le plateau de jerrycans de carburant fuités illégalement à partir d'Algérie et vendus aussi bien à hauteur des parkings jouxtant les places publiques ou sillonnant dans un incessant carrousel les corniches de plages. Ironie du sort, ce carburant est acheté en premier par nos concitoyens. Le gain étant la moitié d'un dinar tunisien par rapport à celui vendu à la pompe. Concluons enfin que ceux qui stressent nos concitoyens qui se rendent en Tunisie ne sont pas les centaines de kilomètres parcourus mais les tracas à hauteur des postes frontières où les fonctionnaires continuent de les malmener en travaillant à un train de sénateur et en se montrant vétillards sur des détails qui n'ont aucun sens dans un pays qui se respecte. A l'aller et au retour le temps d'attente est en moyenne de deux heures trente pour une présence qui ne devrait pas dépasser le quart d'heure. Cela restera peut-être «…Le prix à payer pour une quinzaine de jours de liberté provisoire», lancera un touriste, les premiers mètres franchis dans le pays voisin. A. L.