«Nous ne sommes pas la Côte d'Ivoire ou le Ghana pour espérer passer au deuxième tour» «Ghezzal nous a égorgés au Mondial» Alors qu'il a été très avare en déclarations depuis sa démission de la barre technique des Verts, Rabah Saâdane s'est montré bavard mercredi, à l'occasion d'une conférence donnée à Batna sur le professionnalisme. En effet, en plus de ses interventions, dont le compte rendu a été publié hier, il nous a accordé cette interview dans laquelle il dit beaucoup de choses intéressantes. Vous vous montrez plutôt discret dans les médias depuis votre démission de la sélection nationale. Pour quelle raison ? Pour être très clair, c'est la première fois, depuis ma démission, que j'accorde des interviews à la presse. Je n'ai fait aucune déclaration aux médias algériens. Je suis déçu que certains organes de presse m'aient attribué des propos que je n'ai jamais tenus. Pourquoi ce silence qui a suscité moult interrogations ? Il n'y a pas eu de silence. Après ma démission, je me devais de prendre du recul et du repos, après avoir fait beaucoup d'efforts qui m'ont même fait oublier la longue période passée à la tête de la sélection. De plus, je n'étais pas disposé à parler, car la situation que vit actuellement la sélection requiert de la sagesse et de la pondération, plutôt que des déclarations inutiles. Vous avez fait l'objet de critiques acerbes lorsque vous étiez sélectionneur, mais depuis votre démission, vous faites preuve de sérénité sur les chaînes de télévision en vous abstenant de répondre à ceux qui vous critiquaient. Pourquoi ? Je ne me lance jamais dans les propos qui détruisent, car je connais bien la difficulté qu'il y a quand on est sélectionneur national. C'est pour cela que, en de nombreuses occasions, j'ai appelé à la sagesse et au travail collégial. Peut-être que ceux qui n'ont jamais travaillé à ce niveau ne sont pas conscients du poids de cette responsabilité. Cela m'amène à ne pas faire cas des critiques, surtout si elles ne reposent pas sur des fondements techniques logiques. Revenons à votre démission. Etait-elle inévitable ou bien le fruit d'une conviction personnelle ? Le peuple algérien sait très bien tout le travail que nous avons accompli à la tête de la sélection. Je suis donc satisfait de ce côté, surtout que j'ai pris cette responsabilité dans un contexte difficile. J'ai laissé la sélection dans une situation bien meilleure que celle dans laquelle je l'avais trouvée, avec une réapparition en Coupe du monde après 24 ans d'absence et un retour dans une phase finale de la CAN, après avoir été absent lors des deux précédentes. Doit-on comprendre par là que vous êtes satisfait de ce que vous avez réalisé à la tête de la sélection ? Totalement satisfait, que ce soit au plan des réalisations que du niveau technique que l'équipe a atteint. Lorsque j'avais pris mes fonctions, l'Algérie occupait la 104e place au classement FIFA. A un certain moment, il avait progressé jusqu'à la 27e place, une progression jamais réalisée dans l'histoire du football algérien et africain. Par ailleurs, les experts de la CAF et de la FIFA ont mis en exergue, lors du dernier symposium organisé au Caire, le niveau affiché par la sélection. Cela honore le football algérien. D'aucuns ont affirmé que vous avez été contraint à la démission. Qu'avez-vous à répondre ? Le contrat que j'avais signé avec la FAF a expiré au mois de juin. Donc, j'étais libre de tout engagement. Cependant, vu que la sélection vivait une période de transition, nous avons trouvé, le président de la FAF et moi, une formule pour que je poursuive ma mission, en dépit de sa difficulté. Il aurait été impossible à n'importe quel sélectionneur de réussir dans sa mission à ce moment-là, compte tenu de plusieurs paramètres objectifs que les techniciens doivent prendre en considération. Quels sont ces paramètres ? Tout le monde connaît la situation difficile qu'avaient vécue les joueurs, surtout avec la période de repos qui n'a duré que deux semaines. De plus, le match face à la Tanzanie est intervenu au mauvais moment. J'avais demandé à tous d'être aux côtés de la sélection, afin de surmonter cette période de transition, car il fallait de la patience pour que l'équipe retrouve son vrai niveau. Certains ont oublié que nous possédons une sélection tout juste moyenne que nous devions préserver et faire progresser et c'est cela qui a rendu la mission encore plus difficile, comme le prouve le nul que nous a imposé la Tanzanie. La campagne des critiques cible désormais votre successeur, Abdelhak Benchikha dont les choix sont contestés. D'ailleurs, proposition a été faite de lui adjoindre un entraîneur étranger. Un commentaire ? Je ne veux pas m'appesantir sur ce point, afin d'éviter toute mauvaise interprétation. J'ai eu une entrevue avec Benchikha lorsque nous étions en Egypte. Je ne veux pas révéler la teneur de notre discussion, mais je peux dire que notre échange a été clair, franc et constructif pour le bien de la sélection. Il ne faut pas oublier que Benchikha est mon disciple, car j'ai été son enseignant à l'ISTS. Doit-on comprendre que la programmation n'a pas été favorable aux Verts pour le match de la Tanzanie ? Exactement. La preuve est que j'ai exposé ce point aux experts de la FIFA lors de ma présence en Egypte et nous avons discuté de cette préoccupation. Il était difficile aux joueurs de retrouver leur niveau, vu leur manque de préparation ou la difficulté trouvée par certains à trouver un club. Ils n'étaient donc pas prêts pour ce match. J'avais appelé à plusieurs reprises à la patience, car j'étais convaincu que nos joueurs ne reviendront au top que dans quelques mois. Donc, vous ne redoutiez pas la Tanzanie ? Je n'étais pas du tout inquiet, car je connais les capacités des joueurs. Ceux qui prétendaient que j'avais peur de la Tanzanie n'ont pas du tout compris ce qui s'était passé. Les joueurs ne sont pas des machines pour être au top à tout moment. Vous avez été critiqué de toutes parts, y compris par certains de vos joueurs… Comme je vous l'ai dit, j'ai la conscience tranquille. Chacun est responsable de ses dires. Chaque décision que j'avais prise l'avait été en fonction du contexte de l'époque. Dieu merci, le peuple algérien est conscient de l'importance de ce qui a été réalisé par cette équipe, n'en déplaise aux amateurs de la critique à tout-va. Comment évaluez-vous votre expérience à la tête des Verts ? Je pense que j'ai réalisé les objectifs qui m'avaient été assignés et j'ai même dépassé les ambitions de beaucoup de gens. Nous sommes revenus en Coupe du monde après une absence qui a duré un quart de siècle, nous avons accompli un parcours honorable en Coupe d'Afrique conclu par une participation aux demi-finales, en dépit des incidents ayant émaillé notre match contre l'Egypte. Faites-vous allusion à la manière avec laquelle Halliche a été expulsé ? Je ne veux pas trop parler de ce match pour ne pas attiser le feu de nouveau, mais il y avait une volonté insidieuse de déstabiliser l'équipe au plan défensif. Leur objectif était de faire expulser Bougherra ou Halliche. Finalement, ils sont parvenus à leurs fins avec l'expulsion de Halliche qui n'était pas du tout logique. Je le répète : ce qui s'est passé était à des fins inavouables. Dieu merci, le peuple algérien a été intelligent et nous a chaleureusement accueillis, en dépit de notre lourde défaite. En Coupe du monde, vous insistiez sur l'importance d'être revenus à cette compétition, alors que d'autres parlaient de la nécessité de passer au deuxième tour… Nous ne sommes pas la Côte d'Ivoire ou le Ghana pour penser à passer au deuxième tour. Les Ivoiriens et les Ghanéens participent régulièrement au Mondial ces dernières années, alors que l'Algérie revenait à cette compétition après 24 ans d'absence. Il ne faut pas être démesurés dans nos ambitions. Le fait de se qualifier était en soi un miracle, avec une équipe toute juste moyenne qui avait besoin d'être améliorée plutôt que d'exagérer les ambitions et tromper le peuple. Pourtant, la sélection aurait pu passer au deuxième tour, si elle avait battu la Slovénie… Ghezzal nous a égorgés dans ce match, à la suite de son expulsion 5 minutes seulement après son entrée. La boulette de Chaouchi n'a pas été le facteur décisif, car les gardiens de but peuvent commettre des erreurs, comme l'a fait le gardien de but de l'Angleterre. Les statistiques ont démontré que toutes les équipes qui ont terminé le match à 10 en Coupe du monde ont perdu leurs matchs, à l'exception de l'Uruguay qui a su préserver le nul face à la France en se cantonnant en défense. Avant le Mondial, on avait parlé du renforcement du staff technique, mais vous aviez refusé. Pourquoi ? Pourquoi accepter ? Certains aiment le changement pour le changement et voulaient réitérer les scénarios de 1982 et 1986, plutôt que de prôner la continuité. Je dis à ces gens-là : pourquoi ne pas m'avoir fait ces propositions lorsque j'avais été désigné sélectionneur national ? Ce n'est donc qu'après qu'ils ont découvert que je n'étais pas compétent ? J'étais satisfait de mes deux adjoints que j'ai choisis en mon âme et conscience et avec lesquels j'ai réalisé des succès depuis le début des qualifications. Le programme tracé a été appliqué et les résultats parlent d'eux-mêmes. J'aimerais ajouter une chose : certains ont voulu profiter de la mauvaise période d'après la CAN pour échafauder un plan destiné à nous évincer et à nous remplacer par un nouveau staff. Cela démontre des intentions malsaines de ceux qui n'ont pas apprécié le bon parcours de la sélection nationale. Leurs intentions ne sont pas concrétisées. Lorsque le moment de me retirer était venu, j'ai démissionné la conscience tranquille. Y a-t-il des choses que vous comptez révéler afin de les démasquer ? Je n'ai rien à cacher. Actuellement, je suis loin de la sélection, la conscience tranquille. J'ai travaillé de bonne foi et c'est important dans ce métier. Si un sélectionneur, surtout s'il est algérien, sollicite mon aide, je suis à sa disposition. Je continuerai à mettre mes connaissances au service de la sélection et du football algérien. De même, je souhaite du fond du cœur beaucoup de chance à la sélection, afin qu'elle puisse retrouver le chemin du succès. Y a-t-il des gens au sein de la FAF qui vous ont poussé à partir ? Mes relations ont toujours été bonnes avec les membres de la FAF, à leur tête Mohamed Raouraoua. Tous les responsables ont beaucoup apporté à la sélection, que ce soit Zefzaf, Sadi et bien d'autres. Franchement, le travail a été collégial et efficace et c'est ce qui nous avait permis de réaliser des performances qui ont honoré le football algérien sur la double scène régionale et internationale. Que pensez-vous de la professionnalisation du football algérien ? Franchement, cette initiative du président de la République et du Conseil du gouvernement est à saluer. C'est un grand projet destiné à relever le football algérien et le remettre sur rails. J'espère que cette professionnalisation touchera les autres sports, car le sportif est un ambassadeur de son pays. Néanmoins, il ne faut pas croire que la mission est facile. Regardez ce qui s'est passé en Tunisie qui a vécu une période transitoire de 5 ans qui a été finalement étendue à 7 ans, sans que les objectifs ne soient encore atteints. Tout le monde doit s'armer de patience et travailler méthodologiquement durant 10 ans. Il y a des étapes incontournables comme l'épuration des dettes, la construction d'infrastructures sportives… Le succès du professionnalisme requiert un travail de base, en plus de la patience, de la stabilité et de la continuité. Que pensez-vous de la conférence organisée à cet effet à Batna ? Je remercie mes amis de Batna qui m'ont offert l'occasion d'y prendre part. Ils m'en avaient fait la proposition deux jours après ma démission et j'ai appuyé leur démarche. Je suis très heureux de me trouver à Batna où j'ai passé mon enfance et ma jeunesse. Quand je revois mes anciens camarades d'école, je ressasse avec eux de beaux souvenirs indélébiles. Vous êtes actuellement consultant à Canal+ Maghreb ; comment vivez-vous cette expérience ? Ce fut une expérience nouvelle et très utile, quoi que courte. ça a servi pour fructifier mes connaissances footballistiques dans le champ médiatique. Inch'Allah, j'ai d'autres challenges à relever à l'avenir, que ce soit comme entraîneur ou en tant que consultant. Vous confirmez donc les informations faisant état d'une résiliation de votre contrat avec Canal+ Maghreb pour rejoindre Nessma TV. J'ai été franc avec les responsables de Canal Overseas en leur disant que j'allais travailler avec eux pour une période limitée, car je ne voulais pas m'y engager pour une longue durée dans le cas où je recevais des offres pour entraîner ou faire autre chose. Pour répondre à vos questions, je confirme que je suis en négociations avec Nessma TV et avec d'autres chaînes de télévision. Je prendrai une décision le moment voulu. Qu'en est-il des offres que vous avez reçues de certaines sélections étrangères ? C'est vrai que j'ai reçu de nombreuses propositions, mais elles n'étaient pas conformes à mes ambitions. J'ai atteint un âge où je dois m'occuper de ma santé et prendre en considération ma famille en premier lieu. Je suis en train de réfléchir à activer dans de nouveaux domaines, comme être expert en football, surtout que je possède une expérience dans le domaine, que ce soit dans l'entraînement ou dans l'enseignement. Etes-vous intéressé par la politique ? La politique ne m'intéresse pas. Je laisse la politique aux politiciens. Je suis spécialisé en football et j'exercerai dans ce domaine. Je démens catégoriquement ces rumeurs dont je ne comprends pas le but exact. Quel est votre sentiment en voyant votre nom lié à de grandes réalisations des Verts ? Cela me comble de bonheur. Je remercie Dieu d'avoir pu mettre mes connaissances au service de mon pays, en dépit de toutes les critiques. L'essentiel est le travail sur le terrain. Tout le monde, en Algérie et à l'étranger, reconnaît ce que j'ai apporté à la sélection algérienne et à notre football. Un mot pour conclure ? Je remercie le peuple algérien pour s'être conduit comme un seul homme avec la sélection nationale. C'était une joie générale dont nous gardons des souvenirs impérissables. Je demande à tous de se mobiliser derrière la sélection. Seul le travail collectif peut mener au succès. Je réitère que j'ai la conscience tranquille, après ma démission. J'ai réalisé ce qui était attendu de moi et j'ai redonné le sourire aux Algériens. Je souhaite bonne chance aux responsables de la sélection.