«C'est normal qu'on se tourne vers la sélection du pays de ses parents.» «Mon fils Enzo a seize ans, il est bien trop tôt pour se poser cette question et il choisira tranquillement si l'occasion se présente. On en parlera s'il le souhaite.» Zinédine Zidane a longuement appelé Laurent Blanc, son ancien coéquipier chez les Bleus, pour forger son opinion sur l'affaire qui ébranle le football français, depuis que Mediapart a révélé, il y a dix jours, que la Direction technique nationale avait envisagé, au cours d'une réunion à laquelle participait le sélectionneur, d'instaurer des quotas dans la formation des joueurs français pouvant jouir d'une double nationalité. Ces derniers jours, Lilian Thuram, mais aussi Patrick Vieira s'étaient indignés des propos de Blanc. Plusieurs autres anciens champions du monde 1998, dont Didier Deschamps, ont apporté leur soutien au sélectionneur et souhaité qu'il reste à son poste. Aujourd'hui, Zidane (38 ans) prend, à son tour, la parole pour défendre Blanc et regretter «la folie» qui entoure le débat. Pourquoi être resté silencieux pendant une semaine et pourquoi parler maintenant ? D'abord, franchement, je ne pensais pas que ce débat prendrait cette ampleur. J'attendais de voir. Et quand on voit justement cette folie, ces amalgames... Alors oui, il y a des vrais sujets de fond, des sujets qui me touchent réellement, mais il y a aussi un mauvais procès vis-à-vis de Laurent Blanc. J'ai lu et écouté tout ce qui s'est dit avec attention, j'ai voulu prendre du recul pour avoir une approche un peu plus précise. Il y a des choses à dire. On ne peut pas non plus dire qu'il n'y a pas de sujet sur le fond, comme cette histoire de quotas ! Justement, estimez-vous que les propos de Laurent Blanc sont discriminatoires ? Non, et concernant Laurent, on va faire simple et clair : je le connais bien, il n'est bien sûr pas raciste. D'autant, et personne ne le dit, que sa femme est d'origine algérienne ! Je vais même plus loin : il ne raisonne jamais comme ça car ce n'est pas un sujet pour lui ! Je pense que c'est d'ailleurs comme ça qu'il s'est fait emmener dans une discussion équivoque. Lui, il était sur un problème dont il a souvent parlé, et sur lequel on peut d'ailleurs débattre, sans penser une seconde, à mon avis, à une quelconque discrimination. Sans se rendre compte que les mots pouvaient prendre un autre sens pour quelqu'un d'autre. «Lolo», c'est quelqu'un de spontané, qui parle ouvertement, qui ne pense pas une seconde que ses propos peuvent être mal interprétés... et clairement, là, ses propos ont été non seulement très maladroits, mais en plus, ils venaient dans une discussion où d'autres expressions étaient très limites, comme ce mot de «quota». Lui avez-vous parlé ? Bien sûr. Je voulais comprendre le contexte de cette réunion. Quand un ami a un problème, ou que vous avez un problème avec ce qui se dit, la moindre des choses, c'est de l'appeler. Certains auraient peut-être dû le faire avant de parler, ce qui aurait évité de jeter inutilement de l'huile sur le feu. Certains ? Pensez-vous à Lilian Thuram ? Oui, entre autres. Je songe à tous ceux qui ont parlé très vite et ont jugé Laurent Blanc. Moi, je l'ai appelé pour avoir sa version de la réunion et son point de vue. Je ne voulais pas vérifier s'il était raciste ou pas, ça c'est bon, je sais qu'il ne l'est pas une seconde. Mais je voulais vérifier s'il s'était laissé embarquer dans cette discussion scabreuse. Et il l'a reconnu ? Oui, et c'est ce qui est le plus dur là-dedans. Il intervient trois minutes dans une réunion de trois heures, il y vient pour acter son ouverture et son envie de travailler avec la Direction technique nationale et, à l'arrivée, tout ça lui retombe dessus. Doit-il quitter ses fonctions de sélectionneur ? Bien sûr que non. Mais je peux vous dire qu'il était très, très touché. Je pense qu'il a commencé à faire un super boulot. Et qu'il a un vrai projet. Il faut laisser les choses à leur place, ce serait fou qu'il parte à cause de cela. Il doit continuer. Quel sentiment vous inspire le déchirement des champions du monde de 1998 ? «Déchirement», il faut arrêter de tout exagérer. Les médias créent des exagérations, c'est leur business. Et c'est aussi pour cela que je parle : on a créé France 98 parce qu'on fait un truc incroyable, pour montrer aux générations futures que c'était fort, que c'était possible grâce à un groupe. Donc, les gens qui essaient de profiter du contexte pour s'attaquer à France 98 perdent leur temps. Ce qui nous unit est plus fort que tout et je défendrai toujours ce France 98-là. Au-delà du foot, avez-vous la sensation d'avoir appris quelque chose dans votre parcours en centre de formation ? Evidemment, mais vous savez, on peut se raconter ce qu'on veut, mon éducation a commencé chez moi, avec mes parents ! C'est là qu'on apprend les valeurs, à respecter les gens qui vous entourent, les adultes quand on est enfant. Et ça, c'est peut-être un sujet aujourd'hui, indépendamment du racisme, partout et pas seulement dans le foot. C'est vrai que notre génération respectait les anciens. Aujourd'hui, parfois, on ne te dit même pas bonjour. L'idée que les joueurs binationaux posent problème induit la notion de rentabilité de la formation. Qu'en pensez-vous ? Pour moi, ce n'est pas un problème, justement. Par contre, il y a des sujets de fond sur lesquels on doit réfléchir : sur la détection, la philosophie de jeu, la façon dont on construit la formation des jeunes. Bien sûr que dans le sport de haut niveau, on parle de performance, de rendement ! Mais l'idée de sélectionner voire de discriminer des gamins en fonction de ce statut binational est, pour moi, aberrante. Maintenant, je comprends que l'on se pose la question de savoir comment améliorer la détection des talents ou que l'on réfléchisse aux profils de joueurs. Vous savez bien que dans le haut niveau il faut les meilleurs, point. C'est bien pour cela que le sport et le foot ne sont pas racistes ! Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de racisme dans certaines attitudes, comme dans la vie. Je l'ai vécu comme d'autres, mais sans doute moins. Et en tout cas, alors que ce n'est franchement pas facile tous les jours pour tout le monde dans la société, c'est un comble de se dire qu'il y aurait des quotas dans le foot, un lieu où tout le monde devrait pouvoir vivre ensemble tranquille et où seuls le talent et le jeu devraient compter. Dans ce débat, ne fait-on pas d'une richesse une faiblesse ? C'est pour ça que je parle maintenant. Arrêtons de dire que ce sujet est un problème. C'est une force, point ! Alors, c'est déjà suffisamment compliqué, en ce moment, dans la société pour qu'on ait besoin d'amener ces thématiques sur un terrain où elles ne devraient pas exister. Parlons du choix, certainement difficile, de jouer pour un pays plutôt qu'un autre. Il vous a concerné à une époque. Comment votre père et votre famille ont-ils réagi à ce choix ? Mais très bien ! C'est pour ça que je vous dis que ce ne devrait pas être un problème. Bien sûr que les temps ont changé. Il peut y avoir des pressions pour qu'un bon joueur choisisse le pays de ses parents. Mais moi je vous dis que pour la plupart, l'envie, quand on est français, qu'on a grandi avec ses copains dans son pays, c'est de porter le maillot de l'équipe de France. Après, c'est différent si on n'a pas été sélectionné. Et il est normal de se tourner vers une autre sélection parce que le rêve d'un gamin qui joue au foot, c'est de faire, un jour, une Coupe du monde. Quels ont été vos critères de réflexion à l'époque ? Aucun. Il n'y a pas eu de discussion, même si je suis très attaché à l'Algérie. Aujourd'hui, vous avez des proches qui sont en situation de choisir entre deux sélections. Quel est le processus de décision ? Mon fils Enzo a seize ans, il est bien trop tôt pour se poser cette question et il choisira tranquillement si l'occasion se présente. On en parlera s'il le souhaite. Mais on n'en est pas là ! Comprenez-vous que des gens pensent que les internationaux ne sont pas vraiment concernés par la France ? Moi, je vais vous dire : quand on porte le maillot de la France, c'est une fierté, et je ne pense pas que l'on puisse «ne pas être concerné par la France». Vous êtes le symbole de la France black-blanc-beur qui gagne. A l'inverse, avez-vous senti du racisme après la finale de 2006 ? Non. Mais encore une fois, ce «black-blanc-beur» est une invention médiatique, après coup. Nous, on se voyait comme un groupe de copains, et justement notre force, c'était ce mélange : black, blanc ou beur, ce n'était pas un sujet pour nous. On était les meilleurs à chaque poste, point.