«Quand tu as un investisseur qatari, un directeur sportif brésilien, un entraîneur italien et des joueurs qui ne sont pas français, il y a quelque chose qui me choque.» Les pertes cumulées des clubs européens de football s'élèvent à 1,6 milliard d'euros à la fin de l'exercice 2010, a annoncé l'UEFA, mercredi 25 janvier. Soit un bond de 33 % par rapport à l'année précédente. Une situation suffisamment grave pour que son président, Michel Platini, reçoive longuement Le Monde, à Nyon, au siège de l'institution, afin de tirer la sonnette d'alarme. 1,6 milliard d'euros de pertes et 8,4 milliards de dettes, la situation du football européen est-elle préoccupante ? La situation est alarmante. Je suis le président de l'UEFA et je ne peux pas laisser le foot européen courir à la faillite. Même si je sais aussi que ce 1,6 milliard n'est pas perdu pour tout le monde. Aujourd'hui, on ne peut pas demander à des pays de se serrer la ceinture, et nous rester à ne rien faire. C'est pourquoi nous devons mettre en place le fair-play financier. Les clubs, les ligues, les fédérations nous demandent d'agir. Il faut sauver le football. Les pertes du foot européen sont passées de 216 millions à 1,64 milliard d'euros en cinq ans. N'est-il pas déjà trop tard ? Il est évident que si les règles qui s'appliquent aux autres entreprises commerciales s'appliquaient au football, il y a longtemps que le foot aurait fait faillite. Les clubs ont toujours vécu au-dessus des lois et dans les déficits, parce qu'ils avaient le droit de le faire. Il y a des clubs qui consacrent plus de 100 % de leur budget aux salaires des joueurs ! Mais, avec le fair-play financier, les clubs savent désormais qu'il y a des règles qu'il faut respecter. Et ils savent qu'on pourra les sanctionner à partir de 2013. Quels types de sanction pourrez-vous prendre ? Nous serons l'agence de notation des clubs. Les sanctions seront échelonnées. Le but est d'aider les clubs, pas de les enfoncer. Cela pourra aller de l'interdiction de transferts à l'exclusion de la Ligue des champions. Vous seriez prêt à écarter le FC Barcelone de la Ligue des champions... Je ne vais pas citer de nom de club, sinon ça va faire la "une" des journaux espagnols. Le patron du Barça veut que l'UEFA paie les joueurs pendant l'Euro. Ce n'est pas très fair-play... C'est hors de question. On ne paiera pas ceux qui joueront en équipe nationale pendant l'Euro. En revanche, il est normal que les clubs qui mettent leurs joueurs à disposition pour la compétition touchent un intéressement sur les profits réalisés par l'Euro. Ne craignez-vous pas qu'à l'instar du FC Sion, qui multiplie les recours devant la justice suisse parce que vous l'avez exclu de l'Europa League, les clubs contestent les sanctions devant les tribunaux ? Nous nous préparons juridiquement à cette éventualité et nous avons le soutien de l'Union européenne. Le cas de Sion est une petite affaire de joueurs non qualifiés comme il en existe depuis cent ans dans le foot. Et ils se prennent casquette sur casquette devant les tribunaux ! Ne serait-il pas plus simple de fixer un plafond aux salaires des joueurs ? Les lois européennes ne permettent pas d'appliquer un salary cap. Et quel salaire faudrait-il retenir ? Je ne peux pas demander que Messi ait le même salaire qu'un joueur de Nancy ! Le fair-play financier aura le même résultat. Les clubs devront modérer les salaires pour limiter leurs pertes. On pourra demander à un club de contenir sa masse salariale à hauteur de 60 % de son budget. N'êtes-vous pas choqué par les niveaux de salaire de certains footballeurs ? Ça ne me choquerait pas s'il y avait de l'argent. Mais avec 1,6 milliard de pertes, c'est choquant. Les fans de foot français devront payer l'an prochain pour voir des matches de Ligue des champions à la télévision. Ça aussi, c'est choquant ? Je suis prisonnier des appels d'offres. Il y avait une telle différence entre la proposition de TF1 et celles d'Al-Jazeera et de Canal+ que je n'avais pas d'autre choix que de les attribuer à ces deux chaînes, sous peine de me retrouver devant les tribunaux. TF1 a proposé 19 millions, puis 12, puis 10 : la chaîne n'avait pas envie de l'avoir. Ce n'est pas ma faute. S'il y avait eu 1 ou 2 millions de différence, j'aurais pu faire autrement, mais là, le rapport était de 1 à 5. Vous n'avez toujours pas attribué les droits de diffusion en France de l'Euro 2012. Il pourrait aussi tomber dans l'escarcelle d'Al-Jazira... Pour les matches des équipes nationales, c'est différent. Je me battrai pour qu'ils restent diffusés sur des chaînes gratuites. Pour l'Euro, il y a obligation de diffuser en clair au moins 19 matches. Pourquoi n'ont-ils toujours pas été attribués ? Parce qu'il y a quatre ans TF1 avait proposé 100 millions, et que cette année la chaîne n'en propose que 50. La France est le seul grand pays dans ce cas. Qatar Sport Investments (QSI), propriétaire du PSG, doit se plier au fair-play financier. Mais QSI est aussi une source importante de revenus pour l'UEFA en tant que diffuseur de la Ligue des champions. N'y a-t-il pas un risque de conflit d'intérêts ? Il faut poser la question à la Ligue et à son président Frédéric Thiriez. Il y a eu un appel d'offres, ils l'ont gagné. Où est le problème ? Ce n'est pas parce que les Qataris mettent de l'argent pour acheter la Ligue des champions que l'on va être plus tolérant avec le PSG. Les Qataris ne nous achètent pas comme ça. Quand QSI s'achète un club et des joueurs à coups de centaines de millions d'euros, ne contribue-t-il pas à aggraver la situation que vous dénoncez ? Quand Canal+ ou, avant, Lagardère, sont arrivés dans le foot, ils ont fait flamber les salaires. Quand des clubs veulent s'acheter leur jouet, je ne peux pas les en empêcher. Ce n'est pas moi qui fais les lois nationales. Depuis dix ans qu'Abramovitch est arrivé à Chelsea, je dis qu'il faut des règles pour empêcher qu'un club soit détenu par des investisseurs étrangers. Lorsque les Qataris sont arrivés au PSG, j'ai répété que je n'étais pas fan. En Allemagne, les fonds doivent provenir à 50 % d'investisseurs allemands. Le club est un patrimoine. Quand tu as un investisseur qatari, un directeur sportif brésilien, un entraîneur italien et des joueurs qui ne sont pas français, il y a quelque chose qui me choque. Mais peut-être que c'est le football de demain et que les supporteurs du PSG l'accepteront... jusqu'au jour où l'équipe ne gagnera plus. Votre fils, Laurent, vient de rejoindre QSI. Vous n'avez pas essayé de l'en dissuader, pour éviter de prêter le flanc aux critiques ? Je ne peux pas empêcher les gens de penser ce qu'ils veulent. Mon fils fait sa vie, il va où il veut. Ce pour quoi il a été débauché n'a rien à voir avec le PSG et son volet financier. La Pologne et l'Ukraine sont-elles prêtes pour accueillir l'Euro 2012 dans moins de cinq mois ? C'est prêt dans une philosophie ukrainienne et polonaise. Ce n'est pas l'Allemagne. On est dans la même situation que pour l'Afrique du Sud, le Brésil ou tous les pays émergents qui n'ont jamais organisé de grande compétition. Ils ne savent pas trop comment cela va se passer, et nous les aidons pour que cela se passe bien. Le premier match, ce sera difficile, le deuxième un peu moins, et la finale sera parfaite. Les stades sont magnifiques. Maintenant, s'il n'y a pas assez d'hôtels 5-étoiles pour les journalistes, ils devront se contenter de 4-étoiles. La plus belle femme ne peut donner que ce qu'elle a, et, franchement, ils ont donné beaucoup. En tout cas, je suis sûr que ce sera un Euro festif. Sur le plan sportif, l'Espagne reste favorite ? L'Allemagne est forte. Ils ont fait des éliminatoires sans fausses notes. Et la France ? Elle n'est pas la favorite, mais elle peut créer la surprise. La France fait partie de ces équipes dont on sait qu'elles sont difficiles à battre. Les Bleus sont dans un groupe relativement facile... Facile ? La Suède ne nous a jamais vraiment réussi. L'Angleterre, c'est l'Angleterre. Et l'Ukraine, c'est le pays organisateur. Le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, a-t-il raison d'attendre l'Euro pour décider de la reconduction de Laurent Blanc à la tête des Bleus ? Je ne sais pas. On a déjà expérimenté toutes les configurations : avant, après, pendant. Et chaque fois les choix du président sont critiqués. Voyez-vous une différence avec l'ère Domenech ? Difficile à dire. Domenech, il est arrivé en finale de la Coupe du monde, et, pour l'instant, Laurent Blanc n'est pas allé à la Coupe du monde. Laurent Blanc fait-il du bon boulot ? Laurent a qualifié l'équipe pour l'Euro. Mais je ne les ai pas trop vus jouer. J'ai été invité par l'Allemagne pour le match amical de février. Peut-être parce qu'ils veulent leur mettre une taule devant moi ! Laurent essaiera toujours de faire du bon boulot. Maintenant, il faut que les joueurs adhèrent ; qu'on ait un bon Benzema et des bons attaquants pour marquer des buts, et des bons défenseurs et un bon gardien pour ne pas en prendre. Joseph Blatter a dit récemment que vous feriez un bon président de la FIFA. A 56 ans, vous le pensez aussi ? Je ne sais pas. L'élection, c'est dans trois ans. Sepp Blatter va finir son mandat. Le plus important, c'est que je l'aide à sortir par la grande porte et que le foot mondial aille mieux. Les affaires de corruption minent son règne... Ces affaires ne le touchent pas, il n'est pas corrompu. Il a peut-être une façon de gouverner qui date des années passées. C'est une question de réorganisation. Sepp essaie de changer le système, de changer les hommes, mais c'est compliqué. Je lui donne le crédit de vouloir le faire, et j'essaierai de l'aider car il est blessé. Il y a une autre élection présidentielle, beaucoup plus proche. Yannick Noah est allé chanter au meeting de François Hollande. Vous avez envie de vous mouiller ? J'ai été une fois roulé dans la farine par Raymond Barre, quand il était en campagne pour la mairie de Lyon. Depuis, je ne me suis jamais plus investi en politique. Yannick, il s'est toujours investi, et il continue. Moi, j'ai mes opinions, mes idées, mais j'ai une retenue pour les afficher. De toute façon, celui qui va reprendre, il sera dans la merde avec la crise.