«Il aurait dû jouer comme il avait joué à Annaba» «Saâdane ne méritait pas une telle sortie» Badou Ezaki ne parle pas beaucoup. Taxé d'opposant au Maroc, l'ex-sélectionneur des Lions de l'Atlas se fait de plus en plus discret dans la presse. Pourtant, pour vous lecteurs du Buteur, il s'est ouvert à toutes les questions sans en occulter aucune. Détendus, dimanche, dans le salon d'honneur de l'aéroport international d'Alger, nous «revisitons» pour vous le dernier Maroc-Algérie. Il ne s'agit nullement ici de remuer le couteau dans la plaie, mais juste d'entendre parler un homme qui a forcément un regard différent sur le sujet. Echange ! Vous avez tenu à répondre présent à l'invitation de Rabah Madjer pour son match-gala en faveur des enfants d'Afrique ; vous avez joué symboliquement quelques petites minutes. Pour vous, être ici aujourd'hui, est-ce important ? Oui, ça l'est pour au moins deux choses : d'abord l'invitation venait de quelqu'un envers qui j'ai beaucoup de respect. Dès qu'il m'avait soumis l'idée à Doha, j'ai dit immédiatement oui. Entre nous deux, on n'avait pas besoin de protocole. La parole suffit. Et puis, je reste quand même sensible à la cause des enfants. Je me sens concerné par tout ce qui touche à l'humanitaire. Du coup, c'était, comme vous dites, important pour moi d'être ici. Quels souvenirs emporteriez-vous avec vous ? Un tas. J'ai été heureux d'être ici. J'ai aimé retrouver certains amis que j'avais perdus de vue. L'ambiance était formidable tout au long de mon séjour ici. Le match a été une réussite totale. Il y avait de tout. Vraiment, bravo à Madjer ! J'espère que ce genre d'initiative finira par devenir une habitude au Maghreb. Vous êtes resté longtemps à papoter avec Rabah Saâdane ; était-ce l'occasion de vous remémorer les souvenirs des dernières confrontations algéro-marocaines ? Pas spécialement. J'ai été ravi de le revoir. Vous savez, j'ai beaucoup de respect et pour l'homme et pour l'entraîneur qu'il était. J'ai été attristé d'ailleurs par la façon dont il a quitté la sélection d'Algérie. Un homme de son statut ne méritait pas une telle sortie. Il a pourtant réussi le pari fou d'emmener l'Algérie au Mondial 2010. Je ne voudrais pas parler de la CAN, car, pour l'Algérie, cela doit être le minimum syndical. Vous le lui avez-vous dit ? Bien sûr. Il connaît mon avis sur la question… Ne pensez-vous pas qu'au Maghreb, on est moins conciliants avec les entraîneurs locaux ? Si ! C'est malheureusement la réalité. On est sans pitié avec l'entraîneur local. Dès qu'il trébuche, on lui tire dessus ! Regardez Saâdane, il emmène l'Algérie en Coupe du monde. Et dès qu'il fait match nul, on revendique sa tête. C'est malheureux, mais c'est comme ça. Avez-vous attendu la démission ou le limogeage d'Eric Gerets au lendemain de l'élimination du Maroc au premier tour de la CAN 2012 ? Non ! J'ai attendu plutôt l'élimination. J'avais prédit cet échec… Le Maroc était quand même l'un des favoris pour le scare final ! On le présentait comme tel mais il n'avait pas l'étoffe d'un champion. Il y avait, certes, de grands joueurs, mais il manquait une équipe. Or, pour prétendre remporter une CAN, il faudrait un groupe solide. Le Maroc n'en était pas un ! La large victoire du Maroc sur l'Algérie, le 3 juin 2011, avec l'ampleur médiatique qu'elle a suscitée, lui a-t-elle fait du mal ? Sans doute qu'on s'était vus un peu trop beau le lendemain. L'actuel sélectionneur disait après l'élimination de la CAN qu'il avait découvert une grosse adversité… qu'il avait découvert un groupe à court physiquement… qu'il avait découvert qu'il n'avait pas le groupe qu'il faut pour jouer le titre. Il était donc là-bas pour découvrir ! C'est nouveau ça ! Lorsqu'on part jouer une CAN, on doit tout anticiper. Rien ne doit être laissé au hasard. Le Maroc a joué trois matches avec trois composantes différentes. Ce n'est pas en phase finale que l'on cherche son onze. On doit l'avoir bien avant. Qu'à cela ne tienne, El Jamaa (la Fédération marocaine de football) lui a renouvelé sa confiance, cela ne vous surprend-il pas ? Cela ne me surprend pas du moment que je connais le mode de fonctionnement de ces gens. Les critères de sélection sont occultes. Il y a trop d'intérêts derrière. Ce qui fait que ceux de la sélection sont pratiquement occultés. Avez-vous été surpris par la large défaite de l'Algérie à Marrakech (4-0) ? Au regard de la façon dont elle a joué, non… Elle a joué comment ? Avec beaucoup d'audace, mais elle a manqué affreusement d'intelligence. Abdelhak Benchikha a peut- être pensé qu'il pouvait battre le Maroc chez lui. La presse lui en a fait miroiter l'éventualité et il a ouvert le jeu. Ça lui a été fatal. Je le dis, il a manqué d'intelligence sur ce coup ! Il aurait dû jouer comme il avait joué à Annaba. Intelligemment, sans réelles prises de risque. Le Maroc avait à l'aller trop peu d'espaces à exploiter, or, au retour, les attaquants marocains se retrouvaient quarante mètres derrière le dernier défenseur. 4-0 ce n'est pas cher payé ! A l'opposé, pensez-vous que la défaite de l'Algérie à Marrakech est un mal pour un bien ? A vous de me le dire. Vous êtes mieux placé pour le savoir. L'équipe a retrouvé un regain de forme sous la houlette de Vahid Halilhodzic. Elle en est à son quatrième match sans défaite… Ce sont de belles statistiques. J'ai l'impression que le nouvel entraîneur a su faire comme Saâdane, c'est-à-dire tirer le maximum des joueurs. Saâdane avait pressé l'orange jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de jus. Il fallait donc trouver de nouvelles ressources. Vahid Halilhodzic a entrepris une politique de rajeunissement, de nouveaux joueurs, notamment des binationaux, sont arrivés, le Maroc doit-il en faire autant ? Un groupe a toujours besoin de sang neuf. Après, cela dépend de la façon dont vous l'injectez. En sélection d'Algérie, je crois qu'il y ait encore des cadres qui peuvent encore donner. On doit les laisser encore deux ans, voire plus, pour imprégner les nouveaux et les aider à s'intégrer. J'ai vu en effet qu'il y a de nouveaux joueurs, comme vous dites, binationaux, qui sont arrivés. C'est bien qu'ils aient tranché vite. Car pour moi la question ne se pose pas. Soit ils viennent, soit non. Je n'accepterai pas personnellement qu'un joueur me dise qu'il n'a pas encore tranché. Cela est insensé. La sélection a besoin d'engagement. Karim Ziani a pourtant été laissé sur le carreau. Le sélectionneur dit qu'il a trop de respect pour le joueur qu'il est pour le convoquer et le mettre sur le banc… Peut-être qu'il n'est pas meilleur que ceux qui jouent à son poste actuellement. Je n'en sais rien. Après, un joueur, on le convoque, un point c'est tout. Soit il joue, ou il est remplaçant, ou bien je l'envoie dans la tribune. Un entraîneur a des choix à faire. Il n'y a pas lieu de les discuter. Le voyez-vous réussir le pari d'emmener l'Algérie à la CAN 2013 et au Mondial 2014 ? Je n'en sais rien. Je ne demande qu'à voir. Une qualification à la CAN doit être, comme je le disais, le minimum syndical. Après, pour la Coupe du monde, tout dépendra de ce qu'il réalisera lors de ces deux premiers matches qualificatifs… Et le Maroc ? Le groupe doit apprendre de ses erreurs. J'espère que cet échec servira de leçon à tout le monde. Sinon, c'est toute une génération qui risque d'être gâchée…