De mémoire d'homme, la Grande Bretagne n'a jamais été au cœur d'une aussi grande partie de jeu d'échecs. Encore moins une partie à trois, ce qui est impossible dans les annales de ce jeu de stratégie. Néanmoins, les Brown, Cameron et Clegg n'y vont pas de main morte et redoublent de contacts pour savoir qui sera le nouveau locataire du 10, Downing Street. Dimanche dernier a été une journée de 48heures. Dans le cas de ces dernières élections, l'échiquier compte 652 cases et ce n'est pas la reine qui est visée comme une des pièces maîtresses. Le principal acteur est plutôt le libéral-démocrate Nick Clegg. Le roi dans cette partie. Pourtant son parti n'a obtenu que 57 sièges. Un nombre largement suffisant –s'il était cumulé aux résultats des autres- aussi bien aux Travaillistes qu'aux Conservateurs pour prendre en main les destinées de la Grande Bretagne. La star de ces derniers jours n'est autre que Clegg, le grand perdant. Il est courtisé de toutes parts par ses propres antagonistes politiques d'hier. Aujourd'hui tout un chacun, aussi bien Gordon Brown que David Cameron, lui tendent la poignée de main pour, en échange, avoir en main les rênes de la Grande Bretagne. Le Premier ministre sortant, Gordon Brown ne peut espérer mieux qu'un échec des discussions entre Conservateurs (les Tories) et les Libéraux démocrates (Lib Dems) pour tenter de former son propre gouvernement avec ces derniers. Pour nombre d'analystes, cette éventualité paraît illusoire avec lui à la barre. Un accord entre Tories et Lib Dems est cependant loin d'être acquis, tant leurs programmes diffèrent. Gordon Brown escompte que leurs négociations capotent pour voir Nick Clegg se tourner vers le Labour. Ce que celui-ci n'a pas exclu. Mais il faut toujours avoir à l'esprit que dans cette partie d'échecs, la reine n'a pas été encore prise. Elle fait bonne figure dans ce jeu de stratégie. Sauf que le roi en la personne du Premier ministre sortant est sérieusement menacé par les fous et les cavaliers. Logiquement, une alliance pour former la majorité entre les conservateurs et les libéraux serait un acte contre nature tant les plateformes électorales s'éloignaient l'une de l'autre. Cameron et Clegg ne peuvent s'unir dans une pareille conjoncture économique et financière européenne. Tant il est vrai que Clegg avait en effet déjà laissé entendre qu'il aurait beaucoup de mal à travailler et à faire équipe avec Brown. Dans cet imbroglio sur les cases en noir et en blanc, les travaillistes n'ont cessé de répéter qu'ils n'avaient pas l'intention de se laisser dicter leur conduite par les Lib Dems. Et M. Brown, plusieurs fois donné pour mort depuis son arrivée à Downing Street en 2007, a déjà montré sa capacité à rebondir. Une coalition Labour/Lib Dems, deux partis plus proches idéologiquement que les Tories et les Lib Dems, n'offrirait pas toutes les garanties de survie à long terme. Pour les observateurs sur place, cette «coalition des perdants» s'écroulerait «sous son propre poids». «Ce serait un cauchemar», affirme-t-on. «Peut-être, à court terme, le travailliste Brown sera capable de bricoler quelque chose. Mais il ne faut pas trop rêver. Car ça ne pourrait pas durer très longtemps». Ce serait un feu de paille ou encore un coup d'épée dans l'eau.