Bien davantage peut-être que dans n'importe quel autre pays, les Américains ont un motif de gloire : ils aiment voir en leur président un homme (il faudra attendre encore pour que ce soit une femme) sorti du même moule qu'eux. Ils aiment s'y reconnaître et s'y refléter. Ils veulent y retrouver leur rêve et celui auquel aspire toute la nation. Cet homme, ils ne le choisissent pas seulement pour qu'il dirige leur pays. Ils entendent en être fiers. Après le désastre des années Bush, ce rêve est aujourd'hui orphelin. La campagne des primaires a été longue, épuisante, répétitive. Mais ce système a ceci de particulier : il expose toutes les facettes des candidats. Pas un détail ne reste dans l'ombre. On les observe sur scène et hors scène. On les voit confiants ou abattus, conquérants ou désespérés, en joie ou en pleurs. On vote ensuite en toute connaissance de cause. Trente-cinq millions d'Américains ont participé activement à la lutte entre Hillary Clinton et Barack Obama. La moitié, ou presque, s'est convaincue que ce rêve serait désormais porté par une femme résolue, engagée et brillante. L'autre moitié s'est reconnue dans un jeune métis brillant, engagé et résolu. "Un seul lit pour deux rêves", dit la belle expression. Seul Obama, s'il arrive à l'emporter le 4 novembre contre le républicain John McCain, occupera le lit de la Maison-Blanche. D'ici là, pourtant, le jeune sénateur doit encore passer le test ultime. Il ne s'agit pas seulement de convaincre les partisans déçus de Hillary Clinton et de recoller les morceaux du Parti démocrate. Au-delà des cercles qui s'identifient à lui, Obama doit aujourd'hui faire la preuve qu'il est bien "un Américain comme les autres". Pour ce faire, le nominé démocrate devra, certes, mettre de l'eau dans son vin, ou plutôt avaler bon nombre de donuts et de hamburgers, ainsi que partir à la chasse de groupes d'électeurs particuliers. Mais plus que le candidat, c'est davantage encore les Etats-Unis eux-mêmes qui seront désormais jugés. Ils devront établir si le creuset qu'est ce pays est assez vaste pour contenir le petit-fils d'un guérisseur du Kenya, élevé dans la tradition musulmane et qui porte, comme deuxième prénom, le même que celui de l'ancien président de l'Irak. Dans la candidature de Barack Hussein Obama à la Maison-Blanche, c'est en définitive la définition même de l'Amérique qui est en jeu.