L'Union européenne entre dans une nouvelle période de flottement après le "non" irlandais au traité de Lisbonne. A quelques jours du début de la présidence française, Nicolas Sarkozy a appelé samedi à poursuivre la ratification pour que l'"incident" ne se transforme pas en "crise" mais aussi jugé qu'il fallait se mettre à construire l'Europe autrement. Avec 53,4% des suffrages, le "non" des électeurs irlandais, les seuls en Europe qui se prononçaient directement sur ce "mini-traité" né après de laborieuses tractations, porte un sérieux coup à l'Union européenne: le traité de Lisbonne ne peut en effet entrer en vigueur sans la ratification de chacun des 27 Etats-membres. L'ambiance s'annonce donc tendue, et à tout le moins étrange, le week-end prochain à Bruxelles, au sommet européen des 20-21 juin, où le Premier ministre irlandais Brian Cowen, tout juste arrivé aux commandes et déjà en pleine crise, risque de se sentir bien seul face à ses 26 partenaires, alors qu'il a bataillé pour le "oui". "Au Conseil européen, nous nous consulterons, nous écouterons l'analyste du Premier ministre Cowen, et ses idées sur comment répondre aux inquiétudes exprimées par ceux qui ont choisi de voter 'non'", expliquait aux journalistes le président de la Commission Jose Manuel Barroso.En outre, contrairement au précédent rejet irlandais (du Traité de Nice en 2001), qui s'était fait avec une faible participation, ce référendum-ci a beaucoup plus mobilisé l'électorat, selon les critères irlandais en tous cas, à 53%. D'où la difficulté à envisager un deuxième vote, comme Dublin l'avait fait à l'époque, réorganisant un scrutin un an plus tard après avoir renégocié.Vendredi soir, Dick Roche, ministre irlandais des Affaires européennes, prédisait qu'un second vote serait difficile, voire impossible: "en ce qui me concerne, ce traité est mort". Et d'ajouter que les électeurs irlandais nous "rendent désormais les choses très difficiles pour aller à Bruxelles. Nous sommes dans l'inconnu le plus total, c'est une position très étrange".Mais dans toutes les capitales européennes, après le choc, c'était la même réaction: les ratifications doivent se poursuivre, seul moyen, selon le Français Nicolas Sarkozy, pour que "cet incident irlandais ne devienne pas une crise". En Grande-Bretagne, l'un des huit Etats membres à ne pas encore avoir ratifié le traité, le secrétaire au Foreign office David Miliband estimait que le vote irlandais devait être "respecté et digéré", mais pas pour autant obliger les autres pays à reporter leurs propres projets de ratification. Quant aux Irlandais, "il ne faut pas leur dire quoi faire maintenant. C'est à eux de prendre leurs décisions sur la manière d'avancer, après une analyse attentive des résultats", a-t-il ajouté. Et les mois qui viennent promettent de difficiles négociations pour trouver comment surmonter le "non" irlandais. Pour ce faire, la France, qui prend au 1er juillet la présidence de l'UE pour six mois, et dont le président a été l'un des plus fervents artisans du "mini-traité", sera en première ligne. Pour la chancelière allemande Angela Merkel, seule une action diplomatique patiente pourra éventuellement transformer le 'non' irlandais en 'oui'. "En tant que bons Européns, nous avons simplement la tâche de prendre la situation comme elle est et de trouver une manière d'en sortir, tout en respectant le vote des Irlandais". S'ils sont indubitablement parmi ceux ayant le plus bénéficié de leur appartenance à l'Union depuis 35 ans, les Irlandais, qui aiment moins ce qu'elle est devenue, ont été convaincus par les mises en garde sur la perte de souveraineté ou de certaines spécificités, impôts sur les sociétés très favorables, position sur l'avortement... "J'aime faire partie de l'Europe. Mais je ne veux pas que l'Europe nous enlève encore plus de notre identité irlandaise", décrétait Ray Kennedy, chauffeur de taxi à Dublin qui comme beaucoup d'habitants de la capitale se plaint des innombrables chercheurs d'emploi en provenance des pays de l'Est qui ont inondé le marché irlandais depuis 2004. Ce vote irlandais, note Nicolas Sarkozy, "n'est pas un hasard, ce n'est pas une surprise", mais plutôt "un appel à faire davantage, mieux, différemment": "Beaucoup d'Européens ne comprennent pas la façon dont on construit l'Europe en ce moment. Faut qu'on en tienne compte (...) et qu'on change notre façon de faire l'Europe". Avant de conclure: "ça ne va pas simplifier la tâche de la présidence française, mais pour être passionnant, c'est passionnant".