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La vie de l'après pétrole
Pays du Golfe
Publié dans Le Maghreb le 12 - 07 - 2008

Sortir de l'économie de rente. C'est le mot d'ordre des maîtres de l'or noir. Ils semblent être sur la bonne voie avec leurs acquisitions dans les capitaux des grands groupes mondiaux. Cynisme ou pas, l'envolée des prix du baril de pétrole qui a dépassé cette semaine la barre des 145 dollars a ses bienfaits … Alors que nombre de pays sont pris dans cette hausse vertigineuse, les pays du CCG surfent sur la vague des pétrodollars qui devraient grimper de près de 75 % en 2008 pour atteindre 636 milliards (selon le rapport hebdomadaire du cabinet d'experts koweïtien Al-Shall à la veille de la Conférence internationale sur le pétrole à Djedda). Comment gèrent-ils leurs revenus pétroliers au XXIe siècle, avant l'inéluctable tarissement de leurs puits de pétrole ? Les Etats du Golfe ont appris la leçon après les deux chocs pétroliers de 1970 et 80. Ils savent désormais qu'ils n'ont plus le privilège de gaspiller leur argent. La solution ? Sortir à tout prix de l'économie de rente. Comment ? Outre les placements financiers qui doivent prendre progressivement le relais de l'or noir, c'est le temps d'élaborer des stratégies économiques selon une lecture attentive de l'avenir, visant avant tout la " diversification de leurs économies " soit à l'étranger (acquisitions de sociétés), soit sur place (places financières, infrastructures et services). Les flux de la manne pétrolière (364 milliards de dollars en 2007) ne pouvant plus être pompés uniquement dans la région, les monarchies du Golfe se sont lancées dans des acquisitions de sociétés, surtout européennes.
Géopolitique oblige également. Après le 11 septembre, celles-ci ont trouvé des difficultés à entreprendre leurs projets à l'extérieur, jusqu'alors protégés par les Etats-Unis, qui ont gelé, suite à cet événement, une partie des avoirs arabes pour cause de sécurité nationale ! L'exemple du refus du Congrès américain à DP World, après son rachat de l'opérateur portuaire mondial P & O, de gérer 6 ports américains en est le plus flagrant. Cette crise de confiance les a poussés à diriger intelligemment leur regard vers des participations de plus en plus accrues dans les capitaux des entreprises mondiales. Et depuis, les compteurs d'acquisitions arabes de firmes occidentales s'affolent. Paradoxe à signaler : bien que la percée remarquable des fonds souverains arabes sur leur marché inquiète les Occidentaux en y redoutant des objectifs politiques, les exemples d'acquisitions n'en manquent pas, quel que soit le secteur considéré. S'ils n'étaient pas en pleine asphyxie, ces marchés occidentaux auraient-ils accepté cette bouffée d'oxygène des fonds arabes ? L'année 2007 à elle seule a témoigné d'une pluie de pétrodollars en Occident. La société saoudienne Sabic (figurant dans le top 10 de la chimie mondiale) rachète la division plastique de l'américain General Electric pour 11,6 milliards de dollars, s'intégrant ainsi en aval dans le marché européen (après avoir repris en 2006 la filiale anglaise de l'américain Huntsman Petrochemicals pour 700 millions de dollars et en 2002 le néerlandais DSM Petrochemicals pour 2,2 milliards d'euros). Le Fonds d'investissement de Doubaï (DIC) s'invite à une part non négligeable du groupe de défense et d'aéronautique EADS (3,12 %). La Bourse de Doubaï est présente dans le capital du joyau de la finance mondiale Nasdaq, et avec Qatar, dans le London Stock Exchange. Le Fonds Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) s'acquiert 4,9 % de la plus grande banque américaine Citigroup, en injectant 7,5 milliards de dollars, suivi en janvier 2008 par le Fonds koweïtien Kuwait Investment Authority qui y a acheté l'équivalent de 3 milliards de dollars d'actions, et deux milliards dans Merrill Lynch & Co. L'année 2008, qui n'est encore qu'à un peu plus de sa moitié, semble cacher pas mal de surprises. Le directeur de Total est en contact avec des fonds du Golfe pour une participation cumulée maximale de 10 % de ces derniers dans ce groupe pétrolier et gazier mondial. Outre l'Europe, en Afrique du Nord, de Tanger à Tripoli, les investisseurs du Golfe n'ont pas peur de se lancer dans des projets, surtout dans l'immobilier, le tourisme et les mégacentres commerciaux. On y assiste à un raz-de-marée de pétrodollars. Le volume des investissements des Emirats, à eux seuls, en Algérie pourrait atteindre 50 milliards de dollars jusqu'à 2010. L'Afrique du Sud se trouve également prisée. Les télécommunications et la gestion portuaire sont sur leur champ de tir. La victoire en 2007 de l'émirati DP World, l'un des leaders mondiaux de la gestion portuaire, à remporter du français Bolloré (pourtant implanté depuis plus de 80 ans au Sénégal) la concession pour 25 ans du port à conteneurs de Dakar, ou encore le rachat de l'opérateur de téléphonie mobile panafricain Celtel par le koweïtien MTC en 2005 (pour 3,36 milliards de dollars) illustrent l'engouement des sociétés arabes pour cette partie de la planète.
Devenir des places financières mondiales
Parallèlement à leurs investissements à l'étranger, les gouvernements du Golfe et de l'Arabie saoudite, dont les élites ont, pour la plupart, eu une formation dans les universités occidentales, injectent une partie de leurs " pétromilliards " dans des créneaux locaux. But visé : diversification de l'économie vers l'industrie, les infrastructures et les services, dont les revenus devraient compléter le plus tôt possible la rente pétrolière et créer des emplois pour les jeunes. Le calcul est simple : En attirant dans la région les firmes occidentales, celles-ci généreront une activité économique, sociale et culturelle qui attirera des touristes haut de gamme dont les dépenses ajouteront à la prospérité de la zone. Les yeux de l'Arabie saoudite et du Bahrein sont rivés sur la sidérurgie et l'aluminium. Les Emirats arabes unis et le Qatar ont misé sur le tourisme, l'éducation et la recherche. Le Louvre ou la filière de la Sorbonne d'Abou-Dhabi témoignent d'un " recyclage culturel " de la manne.
La régression de la part du secteur des hydrocarbures dans le PIB de ces pays attestent cette volonté de sortir de la dépendance énergétique (elle est passée par exemple aux EAU de 70 % au milieu des années 1970 à 35 % en 2007 et a atteint au Bahrein 25 %). Selon le cabinet Mckinsey, 3 200 milliards de dollars seront placés dans le Golfe d'ici à 2020. Par ailleurs, le rêve de devenir des places financières mondiales trouve sa place sur la liste des ambitions des maîtres arabes de l'or noir. Et si Doubaï remplaçait un jour Wall Street ? Une question qui a sans doute effleuré leur esprit. Désertiques soient-ils, ces pays tentent d'avoir des pieds dans le sable. Etant conscients que le vieux mythe d'un pouvoir pétrolier inébranlable, à savoir, des réserves pléthoriques, n'existe plus. Jusqu'ici, les réalités assurent qu'ils sont sur la bonne voie. Même si l'avenir s'annonce encore de leur côté, avec un prix du baril à 300 dollars, si l'Iran arrêtait sa production, selon Chakib Khelil, président de l'Opep.
Dira Maurice


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