Dans un monde qui comptera 9 milliards d'habitants en 2050, la raréfaction des ressources fossiles et la contrainte climatique portent en germe des tensions géopolitiques qui dépassent le traditionnel dialogue entre producteurs et consommateurs. En forte croissance, la demande d'énergie devrait au moins doubler dans le monde d'ici à 2050, peut-être tripler. Dans ce paysage évolutif, le gaz apparaît comme une matière première de plus en plus attrayante. A l'horizon de 2020, la demande de gaz va être multipliée par quatre en Chine, par deux en Inde et croître d'environ 30 % en moyenne en Europe et au Japon. L'essentiel de l'augmentation, même en Europe, servira à la production d'électricité. Moins polluante que le charbon et le pétrole, la production d'électricité à partir du gaz est en outre bien moins capitalistique que le nucléaire ou les énergies renouvelables. Les échanges interzones progresseront plus vite que la production grâce au gaz naturel liquéfié (GNL) et les régions les plus consommatrices dépendront davantage des importations. En 2030, les deux tiers de la consommation européenne seront importés, dont plus de 60 % de Russie, avec de fortes disparités entre pays. Les producteurs seront de plus en plus sollicités par la demande asiatique. Dans ce contexte, la recherche d'une sécurité d'approvisionnement passe essentiellement par la reconnaissance des intérêts des producteurs et par l'établissement de relations bilatérales entre consommateurs et producteurs. Cependant, ce processus se voit plombé par les tensions géopolitiques qui se développent. Les intérêts des producteurs et des consommateurs ne sont pas nécessairement convergents. En effet, ces derniers raisonnent ou agissent en fonction de leurs intérêts, intérêts économiques toujours, arrière-pensées politiques de puissance ou de reconnaissance souvent. Cette guerre du gaz que se livrent les différents acteurs de la scène énergétique mondiale se cristallise par les tensions accrues qui caractérisent la volonté des uns et des autres à contrôler les corridors gaziers. La nécessaire diversification, tout autant que l'intensification des voies d'approvisionnements, ont vu des projets totalement opposés se créer. C'est le cas de la multitude de projets de gazoducs qui se tisse autour de la mer caspienne qui contiendrait entre 6% et 10% des réserves mondiales de gaz naturel. Russie, d'un côté, et UE/USA de l'autre s'affrontent à coup de projets de gazoducs concurrents pour imposer leur mainmise sur ces réserves de gaz. Il faut dire que depuis l'éclatement de l'URSS, en 1991, les hydrocarbures de la mer Caspienne suscitent un engouement exceptionnel. On a parlé à leur propos de «deuxième Golfe», d'un «second Koweit» et les voies imaginées pour désenclaver les Etats riverains ont été désignées comme la «route de la soie du XXIe siècle». Mais il est vite apparu qu'au-delà des enjeux strictement économiques et techniques, le gaz et le pétrole caspiens étaient aussi un instrument politique, tant du côté de Moscou, qui cherche à conserver le monopole d'influence qu'elle avait dans cette région, que pour les Occidentaux qui contestent ce monopole et voudraient intégrer ce nouveau sud, si proche du «grand Moyen Orient» que les Etats-Unis tentent de recomposer. Si les Russes sont automatiquement accusés d'utiliser le contrôle du transit des hydrocarbures caspiens comme instrument de leur politique d'intégration au sein de la CEI, s'appropriant au passage des segments stratégiques chez leurs voisins, les Américains ne se sont pas privé d'utiliser ce même instrument pour bouleverser l'équilibre stratégique global de la zone. Outre le rôle majeur des compagnies américaines dans les concessions et les chantiers de gazoducs, Washington a multiplié durant toute cette période les actions de lobbying, maniant tout à la fois politiques de crédits, aides directes, interventions politiques, manipulation des opinions locales et internationales.