Aléas climatiques et spéculation ont accentué l'instabilité des marchés alimentaires mondiaux. Les fonds spéculatifs se retirent du marché très instable des matières premières agricoles. Les cours chutent. La crise alimentaire se fait moins pressante. Cette année, la récolte mondiale de blé bat des records. Épargnée par les accidents climatiques majeurs, elle est estimée à 680 millions de tonnes. Les réserves se reconstituent : 150 millions de tonnes de grains garnissent les silos. Dans ces conditions d'offre abondante, le marché mondial des grains ne constitue plus un terrain de jeu lucratif pour les spéculateurs de tout poil. Fonds spéculatifs, fonds de pensions, banques d'investissement désertent le marché agricole aussi soudainement qu'ils l'avaient pris d'assaut un an plus tôt, à la faveur des mauvaises récoltes. Le pain redevient accessible après avoir culminé à 300 € la tonne, en septembre 2007, les cours du blé se sont repliés à 140 €, sans toutefois atteindre leur plus bas niveau (90 € en 2006). Café, cacao, sucre, soja, maïs, coton suivent les mêmes courbes de prix, en forme de montagnes russes. "Depuis l'émergence des agrocarburants, il existe un lien entre les cours des matières premières des denrée agricoles et les cours des matières premières énergétiques", analyse Patrice Bougault, "trader" chez Cargill. Cette volatilité des prix a radicalement transformé les rapports entre fournisseurs et acheteurs. Vincent Perlier, responsable des achats alimentaires en Asie pour Inter Marché, l'a constaté sur les marchés de produits saisonniers, tels que l'ananas. "On avait l'habitude de se mettre autour de la table pour négocier les volumes et les prix avant la récolte. Avec des cours susceptibles de doubler en cours de campagne, c'est fini. Les fournisseurs ne peuvent pas tenir leurs contrats. Ils vendent la moitié de leur volume à un groupe d'acheteurs stables. Et ils spéculent avec l'autre moitié en vendant au plus offrant." Avec la baisse du prix des céréales, la crise alimentaire desserre son étreinte sur les populations pauvres. Le prix de la farine baisse, le pain redevient un aliment de base accessible. Le ralentissement de l'économie mondiale a freiné la noria incessante de cargos remplis de ciment, d'acier ou de charbon. Le fret maritime plonge, les denrées de base voyagent à meilleur marché. Selon des chiffres constatés par Emmanuel Durand, responsable des achats chez le meunier négociant Eurafrique, "pour transporter 100 000 t de blé, un cargo se loue à 25 000 dollars par jour au lieu de 250 000 dollars un an auparavant". Il prévoit qu'à l'avenir, il y aura un rebond puisque, les limites des surfaces cultivables dans le monde sont atteintes. Les cultures se concurrencent. Les producteurs arbitreront en fonction des prix les plus rémunérateurs. Mais ces temps-ci, suite à la chute libre des prix des produits agricoles, il ne fait pas bon être agriculteur. En effet, Aucune filière n'est épargnée. Selon le dernier baromètre de l'Insee paru hier, les prix des produits agricoles ont accusé une nouvelle chute en septembre, à - 2,6% sur un mois. Sur un an, le recul s'élève même à 5,4%. Aucune filière n'est épargnée par cette grisaille. Les prix des céréales, qui avaient bien augmenté l'an dernier, accentuent leur repli à - 8,4% à fin septembre. Ils sont désormais inférieurs de 38,6% à ceux de septembre 2007. Même tendance pour les oléagineux dont les prix tombent de 8,6% sur un mois et 1,6% sur une année. Les fruits ne sont pas épargnés non plus par ce phénomène avec une diminution de 4,2% en septembre et 4,9% sur une année. Même les prix du vin diminuent (- 2% sur un mois) tandis que ceux des productions animales sont en recul de 0,5%. Seul le prix du lait qui réagit avec un effet retard d'un semestre était épargné par ce mouvement baissier mais il interviendra au quatrième trimestre. Trois facteurs principaux expliquent cette contre-performance. "La crise financière a fini par réagir sur le cours de matières premières agricoles, explique Marie Besson, directrice de la communication des chambres d'agriculture. Et la bulle spéculative, à l'origine des fortes hausses sur certains produits comme le blé l'an dernier, a fini par éclater". Autre explication : la demande atone sur le marché intérieur, depuis la rentrée, de certains produits comme la viande où les prix des bovins par exemple baissent de 1,4% en septembre. Enfin, l'offre internationale a été plus volumineuse après des conditions climatiques défavorables l'an dernier. "C'est, par exemple, le cas de la poudre de lait en Australie et en Nouvelle-Zélande qui avaient été touchées en 2007 par une sécheresse exceptionnelle et de l'Ukraine pour la production de blé", remarque Marie Besson. Autre source d'inquiétude pour le revenu des agriculteurs : l'effet ciseau entre la baisse des cours de leur production et la hausse des matières premières telle l'énergie qui augmente de 29,7% sur un an et des engrais et amendements qui explosent de 62,5% à fin septembre. Des répercussions qui ne seront pas neutres dans les bilans comptables de 2008. Et qui pourraient accélérer la disparition de certaines exploitations.