Il y a de cela dix-huit mois, les banques dominaient encore le monde et caracolaient en Bourse. Les banquiers faisaient la leçon aux Etats et les mettaient en garde contre l'"insupportable dérapage des finances publiques". C'était avant la chute de Lehman Brothers. Avant l'effondrement des banques. Avant les opérations de sauvetage des établissements financiers conduites en urgence partout dans le monde, et avant leur mise sous perfusion d'argent public. Aujourd'hui, de la crise internationale provoquée par la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers émerge un secteur affaibli et amoindri, un paysage totalement remanié après de nombreuses faillites, encore loin d'être stabilisé, mais dans lequel il est déjà possible de désigner, de part et d'autre de l'Atlantique, les grands gagnants et les grands perdants. Du côté des Anglo-Saxons, aux Etats-Unis, la prestigieuse Goldman Sachs, fondée en 1869 et devenue depuis la crise l'une des deux dernières banques d'affaires américaines avec Morgan Stanley, se range, d'évidence, du côté des gagnants. Cette institution, dont l'histoire se confond avec celle du capitalisme américain, liée à l'administration du pays au point que celle-ci y a coutume d'y recruter ses secrétaires au Trésor et ses conseillers, a surfé sur la crise. Elle règne désormais sur Wall Street. Au deuxième trimestre, en pleine récession économique mondiale, la banque a réussi la prouesse d'afficher des bénéfices en hausse de 65 % sur un an, à 3,4 milliards de dollars (2,3 milliards d'euros). Cette performance a suscité les critiques de ceux qui voient en elle un gigantesque fonds spéculatif se nourrissant d'activités sans rapport avec le financement de l'économie. Les critiques furent d'autant plus vives qu'en même temps, l'institution dévoilait ses promesses de bonus faramineux: 11,4 milliards de dollars versés début 2010 au titre du seul premier semestre 2009 ! Mais les profits de la banque américaine ne doivent rien au hasard. Ils résultent de choix stratégiques anciens : un recrutement élitiste de grande qualité - Goldman Sachs fut la première banque outre-Atlantique à recruter des diplômés de haut niveau dans les années 1930 - et une politique salariale avisée, aussi généreuse envers ses traders qu'envers ses contrôleurs du risque, une fonction-clé des banques pourtant souvent dévalorisée. Une autre "américaine", JP Morgan Chase, sort gagnante de cette crise. L'établissement, qui s'est offert la banque de dépôts Washington Mutual en plein marasme, en septembre 2008, avec le soutien financier des autorités américaines, a changé de dimension. Il dispose désormais d'un réseau d'agences considérablement renforcé, dans un marché qui s'est fortement concentré en l'espace de quelques mois, avec plus de 80 faillites bancaires depuis le début de l'année. Ce réseau place JP Morgan Chase au niveau de Bank of America ou Wells Fargo sur le marché de la banque de détail, avec une part de marché d'environ 10% des dépôts bancaires. Toujours dans le camp anglo-saxon, mais au Royaume-Uni cette fois, dans une industrie bancaire dévastée et soutenue à bout de bras par l'Etat, c'est Barclays qui a décroché sa place parmi les vainqueurs. Seule banque européenne à avoir osé racheter une américaine - les activités de Lehman pour une somme symbolique (hors immobilier)-, Barclays profite de son audace. La banque, passée de 12 000 salariés à 20 000 depuis le rachat de Lehman, s'étoffe en Europe. Sur un marché de l'emploi sinistré, elle prévoit de recruter 800 personnes en 2009, pour développer des activités de conseil en fusions et acquisitions et de marchés de capitaux. Enfin, fermant la marche des gagnants incontestables, vient la française BNP Paribas. En deux ans, la banque est passée de la dixième à la septième place mondiale en termes de valeur en Bourse (sans tenir compte des banques chinoises), et ce sans même avoir procédé à une augmentation de capital. Elle était neuvième banque mondiale par ses bénéfices en 2006 et septième en 2008. M.K